Extrait publicité La Française des Jeux |
« Et vous, que feriez-vous avec 18
million d’euros ? ». La question qui tue. Comme dans les publicités
de La Française des Jeux,
j’arrêterais de travailler pour faire le tour du monde, je vendrais mon
deux-pièces pour m’acheter une île ou échangerais ma Twingo contre une voiture
de luxe.
Le billet gagnant est celui que
les joueurs attendent tous d’avoir un jour ou l’autre, la consécration après
des années à s’être torturé l’esprit pour au final ne pas avoir choisi les bons
numéros. Il est le ticket d’entrée vers une vie meilleure, qui relègue d’un
coup de baguette magique les problèmes financiers au second plan et fait des
impayés ou découverts un lointain souvenir. Vivre sans compter, dépenser sans
culpabiliser : mais si ce rêve devenait cauchemar ?
Dans La liste de mes envies, l’écrivain Grégoire Delacourt explore la
façon dont un gain de 18 millions (cinq cent quarante-sept mille trois cent)
euros peut, ou non, bouleverser une vie. L’heureuse gagnante s’appelle Jocelyne
Guerbette. Tenante d’une mercerie un peu vieillotte, elle mène une vie modeste
à Arras, dans le Nord, avec un mari à l’allure pataude et des voisines
commères. Rien d’extraordinaire et un quotidien plutôt monotone, jusqu’au jour
où elle se laisse persuader par ses amies coiffeuses de remplir une grille et
découvre quelques jours plus tard qu’elle
est la chanceuse détentrice du bulletin validé – avant de faire un malaise.
Jocelyne va alors décider de faire de ce chèque son secret. Au lieu de
l’encaisser, l’héroïne camoufle le précieux papier dans une semelle de
chaussure et s’adonne à une liste : celle de ses envies, toutes ces choses
qu’elle pourrait désormais s’offrir et offrir. Au fil des pages, achats
triviaux côtoient objets de luxe dans cet inventaire des choses à faire : acheter
une Porsche et l’intégrale de James Bond
en DVD pour son mari, refaire l’abri de jardin, se couper les cheveux, se payer
un sac Chanel ou simplement passer dans la boutique Hermès, « déplier plein foulards et faire mouais, je
vais réfléchir ! », pour le plaisir. Au-delà de l’amusement qu’il
procure, ce jeu est avant tout l’occasion pour le personnage de réfléchir,
justement, à ce que l’argent n’apporte (ou ne rapporte) pas : une mère
décédée, un père malade. Si la richesse consiste à pouvoir tout s’acheter en
une seule fois, pour Jocelyne, cela n’est peut-être pas la solution à nos
problèmes, parce que ce sont précisément nos « petits rêves quotidiens » et « ces petits riens qu’on achètera la semaine prochaine » qui, à
leur échelle, donnent sens et forme à nos vies. L’histoire montre comment, au
contraire, l’argent peut dévaster un amour...
La douce Jocelyne Guerbette n’est
pas si éloignée des gagnants de la vraie
vie. La réalité est bien moins extravagante que ce que l’on imagine. Les
témoignages de personnes ayant déjà vécu l’expérience sont nombreux, et
beaucoup se ressemblent. L’annonce du gain génère un état d’euphorie, mais peu
à peu, ce sont les sentiments d’anxiété et d’angoisse qui prennent le dessus,
avec des questions qui abondent et s’entrechoquent : à qui en parler et
qu’en faire ? 18 millions d’euros, voilà votre esprit tourmenté. Pour les
sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, cette attitude affecte
notamment les gagnants lorsqu’eux-mêmes sont issus de milieux populaires, où
l’on a moins de chance (sic) de maîtriser les codes de la richesse. « Le
gagnant se trouve démuni devant une plus ou moins grande fortune : il ne
sait par quel bout la prendre » écrivent-ils dans leur livre Les millionnaires de la Chance. Rêve et
réalité, paru en 2010. Ces nouveaux riches arborent ainsi des profils
plutôt sages. Loin de dilapider leur argent, la plupart choisissent de l’investir
dans des placements prudents, afin de ne pas sombrer comme certains de leurs
prédécesseurs. Même si devenir millionnaire d’un jour à l’autre bouleverse
forcément une vie, on constate avec étonnement que les personnes concernées
s’attachent à ne pas rompre complètement avec leur ancien quotidien. « La
vie de gagnant réserve parfois quelques surprises », annonce encore la
pub. A qui le dîtes-vous…
Camille Klein
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