Parce qu’une dictature ce n’est pas seulement quand les gens sont communistes ou qu'ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair, et parce que les élections viennent de s'achever, le pôle ciné a concocté un petit classement des meilleurs films mettant en scène une dictature. À gauche comme à droite, des régimes se sont levés partout dans le monde en dirigeant leur pays d’une main de fer avec des méthodes plus ou moins éthiques. Certains cinéastes se sont emparés de ce thème et y ont vu un terreau fertile pour faire naître des œuvres d’une profonde sensibilité et d’une pertinence historique avérée. N'hésitez pas à mettre vos suggestions en commentaires. Nos suggestions : Fahrenheit 451, Z, Brazil, La jeune fille et la Mort, Le Dictateur, La Vague, La Chute, Bunker Palace Hotel, Hitler : La naissance du mal, I comme Icare, Orange Mécanique, etc.
1 - V pour Vendetta, de James McTeigue (2006),
avec Hugo Weaving, Nathalie Portman
Certes il s’agit de science-fiction mais le thème du régime autoritaire aura été rarement aussi terriblement utilisé pour accoucher d’une œuvre si grandiose. Signé par les frères Wachowski (ou les sœurs on vous laisse choisir…) V pour Vendetta est tiré d’une bande dessinée dépeignant l’Angleterre dans un futur proche où un parti nationaliste a été élu à la tête du pays dirigé par un certain Chancelier Sandler. Menant l’Angleterre d’une main de fer, ce régime est soudainement ébranlé par un terroriste masqué nommé V utilisant la figure célèbre de Guy Fawkes et son attentat raté sur le parlement au XVIIème siècle pour à son tour s’attaquer à la figure du pourvoir. Ce dernier tombe sur la route de Evey, jeune femme sans famille depuis l’ascension du parti à qui il va peu à peu ouvrir les yeux. Parallèlement un inspecteur mandaté par le chancelier tente de mettre la main sur V qui assassine un par un des figures éminentes du régime semblant toutes liées à un mystérieux centre de détention où des expériences étaient menées avant l’arrivée au pouvoir d’Adam Sandler… V pour Vendetta est une parfaite transcription de l’emprise de la peur sur un peuple, de ce que sont prêts à faire des hommes pour atteindre le pouvoir suprême mais surtout des conséquences de la passivité d’une population. La société décrite s’applique aussi bien à l’Angleterre qu’au reste du monde, une société sclérosée par la crainte et qui s’en remet à une figure providentielle, celle du tyran. Fait intéressant, ce dernier n’a pas pris le pouvoir par la force mais a été élu démocratiquement, comme quoi on fait pas toujours les meilleurs choix…
Anecdote : La figure de V s’inspire de Guy Fawkes, un conspirateur de religion catholique qui le 5 novembre 1605 a tenté de faire exploser le parlement où se trouvait le roi Jacques 1er. Dénoncé, Fawkes et ses complices ont été exécuté avant d’avoir pu faire sauter le parlement, depuis le 5 novembre est fêté chaque année en Angleterre avec cette célèbre tirade avec laquelle on vous à tous bassinés au collège : « Remember remember, the 5th November. »
2 - Le Dernier Roi d’Écosse, de Kevin Macdonald
(2006) avec Forest Whitaker, James McAvoy
Tiré d’un roman, Le Dernier Roi d’Écosse narre l’histoire d’un jeune médecin écossais fraîchement débarqué en Ouganda où un certain Idi Amin Dada vient tout juste de prendre le pouvoir. Ce dernier va tyranniser le pays pendant près de 8 ans, s’accordant des séries de titres honorifiques dont celui de Maréchal et de Président à vie (tout est possible). Complètement mégalomane et sanguinaire, il s’est également auto-proclamé Roi d’Écosse prétendait avoir vaincu l’Empire Britannique… C’est après avoir pris le pouvoir lors d’un coup d’État qu’il va demander au jeune diplômé écossais de devenir son médecin personnel. Le film dépeint de manière terrifiante la vie de ce dernier aux côtés du dictateur et de ses crises de folie. Parsemé de scènes à la limite du supportable, Le Dernier Roi d’Écosse est un tableau terrifiant de la corruption et de l’instabilité ébranlant un bon nombre de pays africains depuis plus d’un demi-siècle et ce dans un contexte postcolonial. Le jeune médecin assiste impuissant à l’exercice du pouvoir de celui dont il est le plus proche confident, un homme sans mœurs qui aura fait près de 300 000 victimes entre 1971 et 1979, provoqué une inflation de 200% et endetté son pays à hauteur de 320 millions de dollars. Tout compte fait il n’est pas si mal François Hollande.
Anecdote : Idi Amin Dada était considéré au même titre que Hitler, Staline, Mao et Pol Pot comme un dictateur ne connaissant pas de limites humaines. Il s’était en outre auto-proclamé Roi d’Écosse mais aussi Seigneur de toutes les Bêtes de la Terre et des Poissons de la Mer (désolé Poulpy).
3 - L’Aveu (1970) de Costa-Gavras, avec Yves
Montand, Simone Signoret
Profondément attaché au parti communiste, Costa-Gavras n’hésite pas à en dénoncer les dérives avec ce film retraçant l’histoire d’un homme politique tchèque accusé par son gouvernement d’espionnage au profit des États-Unis. Torturé pendant de longs mois, il finit par signer des aveux et est jugé au cours d’un simulacre de procès. Plusieurs décennies plus tard, ce dernier revient sur son expérience auprès de journalistes et surtout sur son amour pour l’idéal communiste. L’Aveu est une critique virulente des dictatures staliniennes ayant vu le jour au lendemain de la seconde guerre mondiale en Europe de l’Est. Car dans un contexte de Guerre Froide, toutes les méthodes sont bonnes pour se débarrasser de ses opposants et des gens suspectés de sympathie avec l’ennemi Capitaliste. L’Aveu est bien entendu une diatribe des procès de Moscou orchestrés par Staline et ayant amené à l’épuration du pays. Pour faire signer ces aveux, tous les types de torture sont utilisées : privation de sommeil, de nourriture, humiliations, etc. Les dictatures sévissent aussi bien à Droite qu’à Gauche et bien que les opinions divergent, la manière utilisée pour se maintenir au pouvoir et se débarrasser de ses détracteurs reste la même. Magnifiquement interprété par Yves Montand, L’Aveu est annonciateur des séries de contestation qui ébranleront l’URSS à partir de 1950 (en Tchécoslovaquie avec le Printemps de Prague) et plus tard en Hongrie, Pologne, etc. En pleine Guerre Froide, Costa-Gavras réalise une fresque brillante sur l’instrumentalisation des idéologies et les dérives autoritaires qu’elles orchestrent, ce qui était perçu comme une révolution pour le peuple tourne à la désillusion.
Anecdote : Costa-Gavras signe avec L’Aveu son deuxième film sur les dictatures. Avant cela il avait réalisé le film Z s’inspirant du régime autoritaire grec ayant assassiné un député pendant la dictature des Colonels.
4 - Yol, la permission de Yilmaz Güney (1982),
avec Tarik Akan, Serif Sezer
Auréolée de la Palme d’or au festival de Cannes 1982, Yol (signifiant route en turc) narre l’histoire de cinq prisonniers kurdes libérés de prison pour une permission alors que la Turquie est dirigée depuis 1980 par un militaire ayant réalisé un Coup d’État (un sport national dans ce pays). Chacun des prisonniers va donc retourner auprès de sa famille. Yilmaz Güney décrit à la perfection cette nouvelle vie qui est la leur, une vie faite de persécutions et de malheurs dans une société encore très marquée par la tradition. Coutume, pauvreté, répression, la route est encore longue pour ces cinq hommes épris de liberté mais qui ne trouvent pas dans ce pays dirigé par un régime autoritaire cette liberté dont ils rêvent tant. Ce film est une merveilleuse transcription de la Turquie à l’aube des années 80, de ses paysages enneigés et de ses villes, de ses cultures issus d’un brassage loin de faire l’unanimité. Les routes se séparent pour ces cinq détenus qui traversent une société à laquelle ils ne sont pas préparés, le tout dans un langage poétique et une économie du dialogue faisant de ce film une œuvre à part entière. C’est à tort que l’on met à la marge le cinéma Turc qui nous livre pourtant des créations cinématographiques de qualité sur un état en pleine mutation mais miné par les tensions inter-ethniques.
Anecdote : Yilmaz Güney, Turc d’origine kurde, se trouvait pendant la réalisation du film en prison. C’est là qu’il a écrit le film et qu’il transmit les indications nécessaires au tournage du film de manière illégale. Après s’être évadé et avoir rejoint la France il parvient à récupérer son film, terminer le montage avant de pouvoir le présenter au public et de connaître un succès retentissant.
5 - L’Homme de Fer de Andrzej Wajda (1981),
avec Jerzy Radziwilowisz, Krystyna Janda
Un hommage s’imposait à Andrzej Wajda, décédé en octobre dernier et dont la filmographie reste étroitement liée à l’histoire de la Pologne pendant la Guerre Froide et notamment au travers de la figure de Lech Walesa. Réalisé dans un contexte de soulèvement d’une partie de la Pologne contre le régime communiste de Jaruzelski, L’Homme de Fer dépeint l’histoire d’un employé de l’État chargé d’enquêter sur un ouvrier nommé Maciej Tomczyk alors que les grèves sur les chantiers navals de Gdansk font rage. Nommé pour discréditer ce dernier, il va peu à peu se prendre de sympathie pour les grévistes et prendre conscience que le régime dans lequel il vit est loin de l’idéal communiste de liberté et d’égalité entre les travailleurs. Fidèle à son attachement à Solidarnosc, Wajda réalise une œuvre saisissante, témoin d’une nation assoiffée de liberté et usée par des décennies de privations. Là encore c’est en pleine Guerre Froide et dans une dictature d’Europe de l’Est que le réalisateur parvient pleinement à s’exprimer. Il démontre par la même que c’est lorsque on est privés de liberté que le génie artistique s’exprime le mieux pour venir retranscrire le combat d’une nation et d’un peuple, qui dans l’histoire a toujours su faire face et se relever pour demeurer fier et courageux.
Anecdote : Très lié à Lech Walesa et au syndicat Solidarnosc, Wajda a dédié plusieurs films à cette partie de l’histoire polonaise notamment L’Homme de Marbre, L’Homme de Fer (qui reçoit la Palme d’Or au festival de Cannes 1981) et plus récemment L’Homme du peuple (qui est un biopic sur la vie de Lech Walesa).
Abraham Bosse, Le frontispice du Léviathan
Le pôle Culture a décidé de sélectionner une œuvre symbolisant non pas dictature, mais le pouvoir absolu du Monarque. Nous avons donc choisi le frontispice de l’œuvre de Thomas Hobbes, Le Léviathan, réalisé par le graveur français Abraham Bosse.
Représentant un Monarque tout puissant composé par la multitude de sujets de son royaume, celui-ci surpasse les montagnes, les océans, bref, sa puissance ne connaît aucune limite. Muni d’une épée et d’un sceptre, symbolisant son rôle de chef de guerre et de dirigeant, il est la condition nécessaire de la prospérité du royaume représentée sur la gravure par les bateaux marchands et la paix régnant sur ses Terres. Cette gravure est la parfaite illustration de la philosophie de Thomas Hobbes pour qui un régent est nécessaire afin d’éviter l’avènement d’un état de nature où la guerre et le conflit seraient permanents.
Le monarque absolu l’est de droit divin et rien ni personne ne saurait partager le pouvoir avec lui. Abraham Bosse en profite d’ailleurs pour surplomber le Léviathan d’une maxime en latin : « Non est potestas super terram quae comparetur ei lob » signifiant « Il n’y a pas de puissance sur Terre à laquelle il puisse être comparé. » Le Monarque ne partage pas sa couronne et se doit d’être intransigeant afin de maintenir la pérennité de son royaume. Loin de se contenter de faire la promotion de la monarchie, cette gravure remarquable transcrit les rouages complexes de la politique du régent et de ses attributs, du pacte social que celui-ci passe avec son peuple afin de gouverner. Qu’il dispose de l’étiquette de roi, de président ou de chancelier, le dirigeant dispose d’un pouvoir absolu et que l’on pourrait qualifier d’autoritaire tant que celui-ci n’est pas partagé. À méditer…
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