Blanc sali et sols oranges, grands couloirs et ascenseurs. Baies vitrées donnant sur l’extérieur, extérieur qui t’est interdit, pour ton bien, pour le leur. Sur la couverture d’or et d’argent, ton radeau de survie, tu reposes, si frêle dans cet immense lit. L’ombre de la longue perche inerte, ta compagne d’existence, filtre à travers les rideaux, cachant la minuscule ouverture qui te sert de fenêtre.
Un
habitué se tient dans l’encadrement de la porte. Mince et
droit, silencieux, presque digne, il nous observe souvent. Il lui
arrive de te rendre visite en notre absence.
Ces
derniers temps pourtant, il est là tous les jours.
Il
t’a vu me confier que tu te sentais seule, inutile, que tu
souhaiterais disparaître parfois.
Il
était là ce matin où tu as déclaré que tu voulais rentrer.
Tu
refuses de guérir, après tout à quoi bon.
Sur
ce matelas si large et jonché d’édredons, tes grands cils
résignés et ton menton têtu appuient un air boudeur.
Tu
le contemples un peu, tu l’évoques à mi- mot.
Il
nous effraie secrètement, mais avec les mois vous vous êtes
rapprochés. Tu t’es prise d’amitié pour son regard sévère, sa
présence un peu austère, l'atmosphère si spéciale qu’il fait
planer sur ce petit endroit.
J’admets
que même pour moi il devient familier.
L’horloge
nous a surpris. Les lumières se font rares, la pénombre vacillante
forme un curieux contraste avec ton vieux miroir, comme un manège
funèbre sur la tenture des murs. Il me faut te quitter.
Quand
je sors de la pièce, fendant automates blancs et pèlerins sans
visages qui s’ignorent volontiers, il reste à mes côtés. Il se
place derrière moi, tel un ami discret, promeneur inquiétant, et
prend un air étrange entre cynisme et joie.
Soudain,
il esquisse un sourire, et on comprend pourquoi. C’est mon jour
aujourd’hui, je croise un autre cœur, un regard étranger, de ces
regards voilés qui puent la solitude et surtout la souffrance.
Le
passant l’aperçoit. Cet homme, mon suiveur, il le connait aussi.
Ses pupilles se glacent. Ses paupières ombragées se tournant
furtivement, il baisse lentement le front et passe son chemin.
Un
froid poisseux me happe, me fige de l’intérieur, se répand
amèrement à l’ensemble de mon corps. Car comme à chaque fois,
l‘intrus m’escorte toujours, se rapproche, m’étouffe, envahit
mon espace.
Dans
cet univers immaculé, au milieu de toutes ces lassitudes qui
s’étreignent si souvent qu’elles en forment un ballet, il trouve
mieux sa place et se fait plus présent.
Il
m‘inonde les yeux et me donne la nausée.
Je
sais qu’en ce moment il veille à ton chevet, entre l’ampoule
faiblarde et les roses fanées.
S’il
te plait petite âme, ne te laisse pas tenter. Je sens la place qu’il
prend, et, tous les jours plus fort, qu’il cherche à t’emporter.
Mais
tu le connais bien, tu dois lui résister.
Cette
ombre c’est le vide, et s’il en est qu’il apaise, il peut aussi
tuer.
L.V.B.
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