Les notes s’entremêlent quand ses doigts se cassent sur le piano et j’aperçois ses poignets se
tourner brusquement
Comme s’il essayait de rattraper une note comme on rattrape quelque chose qui nous
échappe des mains.
Mais le son s’exhale, indiscipliné, cacophonie indolore dont l’écho est dépourvu de
quelconques sentiments.
Et j’aimerais ressentir ces notes qui me prennent le cœur, qui arrêtent le temps, qui rendent
tout si soudain,
J’aimerais que tu joues sans t’arrêter pour qu’enfin je sente mon souffle se couper, mes
pensées se voiler, le décor s’obscurcir, mon ventre se serrer et que je ressente le poids, le
poids du vide.
Applique-‐toi, redresse-‐toi, courbe tes mains et caresse les notes, effleure le Do mais écrase
le La, une dualité si subtile vous direz,
Mais indispensable pour que les notes s’imprègnent des lieux et créent cette atmosphère
particulière où on peut s’abandonner,
Et pour que le creux s’installe, cette profondeur insondable qui permet de s’évader l’espace
de quelques mesures.
C’est le souffle de la main qui crée cet espace entre chaque note, si séduisant, un silence à
contre temps, une infime brisure
Qui écorche, oui, mais libère de cette obsession du bonheur, de ce cercle vicieux qui nous
pousse à courir en rond autour d’un questionnement continuel. Et si la réponse au bonheur
était cet espace, cet espace vide ?
Car là on tâtonne, on se lasse, on court sans jamais ralentir, on tourne sans jamais s’arrêter
et chaque jour qui passe on a l’impression qu’à tout moment on peut se prendre un mur.
Plus on cherche à être heureux, plus on y pense et moins on l’est, nourris par cette
impression frustrante d’être incomplet.
Comment être sûr de faire le bon choix, celui qui mène au bonheur, celui qui fait que le
tumulte de nos pensées se transforme en murmure ?
La valse des notes, cette virgule qui sépare les sens, s’abandonne alors à la tâche d’étreindre
ce creux dans nos ventres, si douce vacuité.
Du haut de ses subtiles sonorités, désireux de s’élargir, ce vide nous élève vers la réponse à
cette quête sans fin,
Il libère des préoccupations qui gangrènent l’esprit et, même si dans ce grand rien on croirait
se noyer, on arrive finalement à respirer.
Une question se dessine alors sur les notes blanches et noires, comment sait-‐on qu’on est
heureux ? Comment en être certain ?
Quand le pied bat l’air, que la main caresse les touches et que le silence relie les sens, la
vacuité de l’instant frappe alors l’inconscient. Le vide rend heureux car, sans miroir, il suffit
tout simplement, juste l’espace d’un instant, qu’on oublie de se poser la question.
Dean Moriarty
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