Quai d’Orsay raconte la vie au cœur du ministère des affaires étrangères dans des crises successives. A l’écran c’est Thierry Lhermitte qui incarne Alexandre Taillard de Vorms, personnage issu de la bande dessinée à l’origine du film. Dans cette dernière, Taillard de Vorms n’est qu’un pseudonyme pour celui qui en réalité représenté sous des traits caricaturaux mais ô combien drôles : Dominique de Villepin. Le 7ème art s’inspire donc du 9ème pour un pari risqué : adapter la bande dessinée récompensée en 2013 par le prix d’Angoulême, festival de la BD le plus reconnu dans le paysage des phylactères franco-belges, catégorie meilleur album. Récompense qui paraît dument méritée à la lecture de l’œuvre de près de deux cent pages, tant elle se distingue par un style d’une fluidité rare avec un aspect descriptif s’avérant au final cyniquement réaliste. Car sous couvert de grossir les traits d’une vie ministérielle menée à cent à l’heure, sous les ordres d’un De Villepin dont les idées paraissent stratosphériques et qui cherche à dicter la pensée de la France au monde entier avec des textes d’Héraclite pour appui, ce sont les rouages de la diplomatie et de la politique qui sont mis à nus. Ainsi, l’hypocrisie et les codes inhérents à une vie s’apparentant à celle d’une cour en perpétuel mouvement sont magnifiquement dépeints.
Et pour cause, l’un des scénaristes n’est autre qu’un ancien
diplomate ayant été conseiller de Dominique de Villepin à l’époque à laquelle
celui-ci était premier ministre. On se laisse donc guider en suivant l’entrée
dans ce monde à part d’un jeune diplômé, un certain Arthur qui découvre à ses
dépends une nouvelle vie où ni le ministre ni ses collaborateurs ne lui
laissent une seconde de répit. Nous suivons donc ses péripéties, tel un
voyage initiatique pendant lequel ses mésaventures et collègues lui apprennent comment il lui
faut désormais se comporter et comprendre les autres. Ainsi après s’être pris
un coup dans le dos par une autre conseillère, Arthur se voit ainsi rassurer
« Quand tu fais un coup de pute à quelqu’un, c’est pas que tu lui veux du
mal. C’est comme une caresse. S’il est bon, il va te faire un coup de pute
aussi, après. C’est une relation amoureuse ».
Des discours qu’il rédige et sont refusés sans être lus à
l’immense difficulté de conjuguer ses vies professionnelle et amoureuse, en
passant par la découverte de l’importance pour un diplomate d’avoir des
chaussures bien cirées, Arthur voit ses contrariétés
récompensées par le succès de certaines interventions de son ministre. Ce
dernier apparaît comme un être éclairé, avec de grandes visions du monde. Et,
s’il paraît parfois venir d’une autre planète, c’est parce qu’il aurait un
temps d’avance sur ses contemporains. Il est décrit comme un égomaniaque survolté qui aime à rappeler
qu’il avait raison, surtout quand il a tord. Telle une furie il déboule dans
les bureaux de son ministère pour asséner quelques propos acerbes afin de
s’assurer l’efficacité de ses conseillers, et se lance parfois dans des
monologues dont il est le seul à saisir la vraie valeur. D’ailleurs, il est
souvent persuadé que tout peut se résumer en un mot ou une comparaison clés.
C’est pour cela que son objet fétiche est le stabilo, avec lequel il surligne
des propos obscurs pour tous, sauf lui-même, de quelques philosophes anciens. Il
tient à les voir figurer dans ses discours, au grand dam d’Arthur, chargé du
« langage ».
Finalement, c’est une
œuvre originale avec un humour mordant que le réalisateur Bertrand Tavernier
adapte au cinéma. Cet opus prendra en compte le premier des deux tomes, ce qui
est semble bien suffisant tant le rythme de cette bande dessinée est intense. Le
second tome se plonge encore un peu plus dans le monde onusien des résolutions
et contre-révolutions et trouve son apothéose dans le discours du ministre
s’opposant à l’intervention des Etats-Unis au « Lousdem », qui fait
office d’Irak. *
Timothée Sicot
*Edit : en réalité, le film reprend bien les deux tomes même si le second n'inspire qu'une petite partie du long-métrage.
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