Dimanche soir, François
Fillon a déjoué tous les pronostics et s’est imposé loin devant (44%) ses deux
concurrents principaux (respectivement à 28 et 20%). Depuis, les partisans de
l’ancien Premier Ministre de Nicolas Sarkozy surfent sur la vague
anti-juppéiste de la droite militante ; Alain Juppé, de son côté, se
confond en attaques diabolisantes envers celui qui fut longtemps son
collaborateur et ami.
Mais quelles sont alors les
réelles différences entre les deux hommes : Juppé est-il un centriste
invétéré, usé par un âge avancé ? Fillon est-il un horrible Thatcher Boy,
sexiste et homophobe ? Démêlons le vrai du faux.
Deux
hommes politiques au CV bien garni
Alain Juppé naît en 1945 d’un père agriculteur
et d’une mère magistrat. Il obtient son bac à 17 ans et enchaîne avec une
classe préparatoire littéraire au prestigieux lycée Louis-le-Grand à
Paris : il intègre, en 1964, l’Ecole Normale Supérieure. Il obtient ensuite
l’agrégation de lettres classiques et complète son éducation avec Science Po
Paris et l’Ecole Nationale d’Administration (ENA).
Il
adhère en 1976 au RPR de Jacques Chirac et se présente pour la première fois à
des élections législatives en 1978. Depuis, Alain Juppé a été député, maire,
ministre, premier ministre, président du RPR et de l’UMP.
Un sacré CV… Pourtant entaché par
deux affaires. La première concerne l’appartement parisien de son fils. Elle
survient immédiatement après la nomination d’Alain Juppé comme chef du
gouvernement sous la première présidence de Jacques Chirac. On y apprend que 381 000
francs sont dépensés par la ville dans des travaux dans l’appartement de son
fils, dont « AJ » demande que le loyer soit diminué de 1000 francs
par mois. La justice ne le poursuit pas.
La
seconde affaire, plus grave, a donné lieu à sa condamnation à quatorze mois de
prison avec sursis ainsi qu’un an d’inéligibilité. Elle concerne les emplois
fictifs de la mairie de Paris : financement occulte d’emplois au sein du
RPR par la mairie de Paris. La secrétaire personnelle d’Alain Juppé au RPR était
elle-même rémunérée directement par la ville de Paris. A l’aube du « plan
Juppé » qui mettait deux millions de Français dans la rue, cette affaire
était un coup de massue pour le désormais finaliste à la primaire de droite.
François Fillon voit quant à lui le
jour en 1954, d’un père notaire et d’une mère historienne. Dans sa jeunesse,
ses bulletins montrent un élève indiscipliné et refusant l’autorité. Il obtient
en 1977 un BAC+5 en droit public.
Il
adhère au RPR la même année et, en juin 1981, est élu député de la 4ème
circonscription de la Sarthe. Il devient le benjamin de l’Assemblée Nationale.
A cette occasion, il vote contre la dépénalisation de l’homosexualité, comme l’intégralité
des députés RPR de l’époque : vote d’opposition à la présidence Mitterand
et ses deux premières années contestables bien davantage que conviction
personnelle, ce choix-soumission au RPR le poursuit encore aujourd’hui.
Peu
à peu, François Fillon se rapproche de Philippe Séguin, qui devient son mentor
politique. Il fait alors partie des rénovateurs de la droite, mais les dissensions
concernant l’Europe entre Philippe Séguin et François Bayrou font éclater le
mouvement ; Simone Veil recueille ainsi à peine 8,4% des voix aux
élections européennes de 1989.
Depuis,
François Fillon enchaîne les postes de député et ministre, jusqu’à devenir
premier ministre, en 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
La
polémique, grande invité de ce deuxième tour des primaires
François Fillon et Alain Juppé sont
amis de longue date, mais depuis dimanche soir, les coups pleuvent des deux
côtés : Alain Juppé serait trop centriste pour une primaire de droite,
populaire mais uniquement à gauche, usé par son âge avancé. De son côté, Fillon
serait à la droite des Républicains, thatchérien économiquement et traditionaliste sur le plan des mœurs.
Deux
positionnements, deux tactiques : François Fillon, perçu au barycentre de
l’électorat de droite, espère, en dénonçant l’immobilisme d’Alain Juppé,
convaincre qu’il s’agirait, pour les Républicains, d’une soumission au centre,
voire d’une ouverture à la gauche. Impossible pour le noyau dur LR ! Quant
à Alain Juppé, il pense que la clef de la réussite se situe dans la
mobilisation de l’électorat de gauche (qui ne représentait dimanche dernier que
15% des votants) ; la diabolisation à outrance de l’ancien premier
ministre mobiliserait les lecteurs des Inrocks et du Nouvel Obs, effrayés à
l’idée de voir un ultra-conservateur s’installer à l’Elysée.
Dans
ce contexte, il devient difficile de démêler le vrai du faux. Mais
attardons-nous quelques instants sur les polémiques qui égrènent ce début
d’entre-deux-tours.
Militant
Républicain, Alain Juppé vous effraie ? Peur qu’il ne tienne pas ses
promesses et qu’il réitère les douze années de passivité chiraquienne ? Soyez
tranquille. Son programme économique intègre parfaitement la suppression des
35h au profit des 39h, l’élévation de l’âge de départ à la retraite à 65 ans en
deux ans (cinq ans pour François Fillon), des coupes budgétaires aussi
conséquentes que celles de son adversaire, la suppression de deux fois plus de
postes de fonctionnaires que sous Nicolas Sarkozy, une hausse de la TVA, la
suppression de l’ISF ainsi que la diminution des charges des entreprises. Difficile
d’imaginer qu’un tel programme saurait séduire des électeurs de gauche,
attachés aux acquis sociaux.
La
deuxième critique touche l’âge d’Alain Juppé. Il serait vieux, trop usé pour le
poste. Est-il nécessaire de rappeler qu’il a, en 1995, porté le « plan
Juppé » sur les retraites et la Sécurité Sociale seul, et que c’est
Jacques Chirac qui a cédé, non son premier ministre, devant les grandes
manifestations qui faisaient d’Alain Juppé l’un des hommes politiques les plus
haïs de France ? La même année, en novembre, lors de la formation de son
second gouvernement, il remplaçait huit des douze femmes ministres par des
personnalités politiques masculines : les accusations de machisme
pleuvaient alors sur lui.
Militant
de droite de la première heure ? N’aie crainte, Alain Juppé n’est pas
centriste.
Fillon
homophobe, Fillon sexiste, Fillon trop conservateur… les médias n’ont pas attendu
longtemps pour tenter de décrédibiliser le nouvel homme fort de la droite,
maintenant que Nicolas Sarkozy était éliminé. Depuis dimanche soir, les
Inrocks, Marianne, Libération, L’Obs ou encore Le Monde sévissent ; le
chouchou des médias (pourtant bien à droite) était en mauvaise posture, il n’en
fallait pas plus pour que la presse ne vienne à son secours.
Homophobe
car soutenu par Sens Commun, mouvance radicale ? C’est oublier que,
contrairement à Jean-Pierre Raffarin et Hervé Mariton, deux soutiens
indéfectibles d’Alain Juppé, François Fillon n’était pas en première ligne de
la Manif Pour Tous. Il n’est par ailleurs, dans sa volonté de réécrire la loi
Taubira en ce qui concerne la filiation, pas parfaitement clair (suppression ou
simple affirmation du droit indéfectible de l’enfant à connaître ses parents
biologiques ?). Mais entretenir le flou est stratégique dans le cadre d’une
primaire qui s’adresse à la droite, non à l’ensemble des Français.
La
dernière polémique en date concerne le prétendu sexisme de l’ancien Premier
Ministre, peu clair quant à son positionnement sur l’avortement. Pourtant,
François Fillon a été à plusieurs reprises très explicite : il y est
opposé personnellement mais sait distinguer son opinion du droit civil privé, et n’a
jamais songé un seul instant à le remettre en question. Est-il nécessaire de
rappeler qu’il est l’un des rares députés Républicains à avoir voté, en 2014,
une réécriture socialiste de la loi Veil qui faisait de l’avortement « un
droit fondamental de la femme » ? Et qui conduisait Hervé Mariton,
soutien d’Alain Juppé, à déclarer que François Fillon était trop à gauche pour
cette primaire…
Trop
à droite Fillon ? Il ne reçoit en effet pas le soutien de François Bayrou,
président du MoDem… mais de Valéry Giscard d’Estaing, fondateur de l’UDF, tout
aussi, si ce n’est plus, centriste ! VGE, président progressiste s’il en
est : passage de la majorité de 21 à 18 ans, divorce par consentement
mutuel, IVG et IMG. VGE s’était par ailleurs déclaré favorable à l’abolition de
la peine de mort mais considérait que le peuple n’était pas prêt à une telle
mesure. En tout cas, lorsque Mitterand arrivait au pouvoir, Fillon était
prêt : il figure ainsi parmi les rares députés RPR à avoir voté
l’abolition de la peine de mort. Alors, toujours conservateur, « FF » ?
Deux
programmes somme toute très à droite
Depuis quelques mois, la primaire de
la droite et du centre passionne : les débats sont suivis et la presse
relaye les passes d’armes des Républicains. Mais certains, aujourd’hui,
s’indignent en lisant les programmes des deux finalistes, appellent le peuple
de gauche à se mobiliser pour Alain Juppé (apparemment sans avoir véritablement
lu son programme dans son intégralité). Pourtant, rien d’étonnant : c’est
une primaire de droite, non une primaire nationale (qui s’appelle alors une
présidentielle). Juppé-Centriste et Fillon-Thatcher ? Rassurez-vous, les
programmes sont somme toute assez semblables.
En matière d’économie, Alain Juppé
apparaît nuancé face à un François Fillon plus radical ; mais c’est
oublier que, dans les deux cas, les finalistes vont beaucoup plus loin dans la
réforme que Nicolas Sarkozy en son temps, Emmanuel Macron ou Myriam El Khomri
plus récemment.
Les deux candidats prônent ainsi des
coupes budgétaires (80 à 100 milliards pour Alain Juppé, 100 milliards pour
François Fillon), la baisse des prélèvements (50 milliards dont 40 pour les
entreprises du côté du Thatcher Boy, 35 milliards dont 25 pour les entreprises
pour le Vieux Chiraquien), une hausse de la TVA, d’un point pour
« AJ », de deux points pour « FF ». Tous deux s’accordent
pour allonger l’âge de départ à la retraite à 65 ans avec alignement de la
fonction publique sur les normes du privé, ainsi que sur la mise en place des
39 heures dans la fonction publique, une négociation au sein de l’entreprise
dans le privé (si les discussions n’aboutissent pas au bout de deux ans,
« Péju », comme l’appellent ses militants, préconise la mise en place
des 39h d’office, ce qui risque de tronquer la négociation ; de son côté,
« FF » aligne la limite sur la norme européenne). Enfin, l’ancien
premier ministre de Nicolas Sarkozy propose le non-remplacement de 500 000
fonctionnaires, en privilégiant les coupes dans les collectivités locales et
l’administration, en passant par une simplification de la bureaucratie :
il regrette que la fonction publique soit associée au milieu hospitalier et à
l’enseignement, dont il n’est pas question d’affaiblir le service. Son
adversaire préconise 250 000 non-remplacements ; comparativement peu,
mais toujours très loin au-dessus de ce qui avait été accompli sous le
quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Le contrat de travail doit être
réformé pour les deux candidats qui souhaitent faciliter les licenciements afin
d’encourager l’embauche. De son côté, François Fillon ne ferme pas la porte à
la mise en place d’un nouveau contrat de travail, à l’image du contrat unique
défendu par le prix « Nobel » national Jean Tirole. Enfin, en matière
fiscale, les deux candidats se prononcent pour la hausse du plafond de
l’avantage du quotient familial, le retour sur le prélèvement à la source ainsi
que sur la mise au barême de l’impôt sur le revenu. Le favori du second tour
opte également pour une déduction d’impôts de 30% pour les investissements dans
des PME jusqu’à 1 million d’euros.
Sur le plan international, François
Fillon cible l’ennemi prioritaire : l’Etat Islamique. Pour le détruire, il
souhaite s’allier à Vladimir Poutine et Bachar El Assad : realpolitik
plutôt que politique des valeurs.
Concernant l’Europe, quand Alain
Juppé se prononce pour une Europe de l’intégration, des peuples, François
Fillon rétorque « Europe des nations » avec un gouvernement
européen démocratiquement élu.
En matière de défense, les deux
discours sont musclés, entre places de prison supplémentaires et hausse du
budget alloué à la défense. Mais un député résume la situation : « on
est dans la nuance, pas dans la différence ».
Sur
l’Islam, le discours est également sensiblement le même : favorables à
l’acceptation du voile à l’université, les deux finalistes préconisent tout de
même un contrôle du financement des lieux de culte, la formation des Imams, le
choix du français dans les prêches…
Enfin,
en ce qui concerne l’éducation, ils s’accordent sur la liberté qui devrait être
accordée aux chefs d’établissement ainsi que la nécessaire revalorisation du
salaire des enseignants, la réduction du coût de l’apprentissage pour les
entreprises ou encore la suspension des allocations familiales lorsque les
enfants seraient trop absents.
A
quelques jours du second tour, le débat est donc pollué par les polémiques.
Pourtant, Fillon n’est pas homophobe ni sexiste, et Juppé n’est pas centriste
ni usé. Une belle image des Républicains avait été donnée, le soir du premier
tour, alors même que plus de quatre millions de Français s’étaient déplacés. Il
serait dommage d’abaisser le débat du second tour à ce point, et d’en oublier
les questions majeures. 31% des votants avaient jugé en fonction de la
thématique économique : donnons-leur des gages. Dimanche soir, tant le
vainqueur que le perdant regrettera la diabolisation mutuelle de cet
entre-deux-tours.
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