Dans l'antre des grands semenciers
Il était une fois six grands semenciers leaders d’un marché de
quelque 50 milliards de dollars:
- - Monsanto
- - Pioneer Hi-Bred (Dupont de Nemours)
- - Syngenta
- - Limagrain
- - Land O’Lakes
- - KWS AG
Les 3 premiers ne contrôlent pas moins de 50% du marché des
semences dans le monde. Un de ces noms doit bien vous dire quelque chose, non ?
Et ce n’est pas de Limagrain que je veux parler. Ce nom-là est en effet celui d’une
multinationale américaine qui cristallise de nombreuses critiques. Et pour
cause ! Loin de ne commercialiser que des semences, Monsanto produit aussi
des OGM et des pesticides. En quelque sorte, cette firme commercialise à la
fois des problèmes _les pesticides, le Round’Up et les problèmes sanitaires qui
en découlent_ et leurs solutions : les fameux OGM résistants aux
pesticides Monsanto et bientôt, conséquence de sa fusion avec Bayer, des
médicaments. Bien sûr, même si les autres multinationales de la semence sont
moins médiatisées que le géant Monsanto, leurs activités sont identiques :
production et distribution de semences, mais aussi de produits phytosanitaires
(entendez pesticides) et d’OGM. Les capacités financières colossales de telles
entreprises leur permettent d’investir massivement dans la recherche génétique pour
mettre au point des fruits, légumes ou céréales qui satisfont certains critères :
saveur, texture, vertus nutritionnelles, résistance au pourrissement, à
la chaleur, au transport, optimisation des rendements, etc.
Concrètement, quel est le rôle des grands semenciers ? Les grands semenciers, comme leur nom l’indique, commercialisent des semences. Leurs
acheteurs sont les acteurs du secteur agricole. Comment se fait-il que le
marché des semences pèse plus de 50 milliards de dollars alors que les
acheteurs peuvent replanter leurs graines et procéder eux-mêmes à une sorte de
sélection ? C’est assez simple : les acheteurs de semences sont plus
ou moins contraints de se procurer régulièrement de nouvelles graines auprès
des producteurs ! En effet, s’il y a un marché, c’est parce que les
agriculteurs, après chaque récolte, se voient forcés de racheter des semences aux
grands semenciers. D’abord parce que les semis utilisés sont bien souvent de
variétés hybrides F1. Cela signifie qu’elles ne peuvent être ressemées par les
agriculteurs sans que leur prochaine récolte soit soumise à d’importants aléas.
Car une variété hybride F1 étant le fruit de 2 lignées pures, elle poussera en
acquérant les attributs recherchés parmi les deux lignées ascendantes, mais la
génération suivante, la génération F2, sera instable et pourra de ce fait
reprendre des caractères non-voulus provenant de l’une ou de l’autre des
lignées consanguines utilisées pour produire F1. Si l’agriculteur veut
replanter ses semis, il s’expose ainsi au risque d’obtenir une récolte très
hétérogène avec des fruits et légumes bâtards, non reconnus au catalogue des
espèces officielles[1], i.e. non
certifiés par le Gnis[2]
(en France), donc invendables. Pour éviter d’essuyer des pertes économiques
douloureuses, le choix le plus rationnel est donc…de racheter des semences
hybrides F1 aux grands semenciers encore et encore ! Et ce qui est
merveilleux, c’est que quand bien même, contre tout bon sens économique, les
agriculteurs décideraient de replanter les variétés achetées à Monsanto et
consorts, ils n’en auraient pas le droit ! Car dans la course à l’appropriation
du vivant, les grandes multinationales de la semence n’ont pas vraiment chômé,
puisqu’elles ont breveté les semences. Ces brevets, Droits à la propriété Intellectuelle
(DPI) ou « certificats d’obtention végétale » (COV) permettent aux
grands semenciers de protéger les semences qu’ils commercialisent. Les conséquences
? En cas de replantation de semences estampillées Monsanto ou autre, les agriculteurs
devront s’acquitter d’une taxe ou pourront être attaqués en justice par les
semenciers pour atteinte à la propriété intellectuelle. Alors certes, il existe
des exceptions : les agriculteurs peuvent aujourd’hui tout à fait utiliser
des variétés protégées à des fins de sélection ou de recherche. L’Article 1-3
du décret 81-605 stipule notamment que « Les producteurs peuvent commercialiser
des semences et plants n'appartenant pas aux catégories mentionnées à l'article
1er, troisième alinéa, s'il s'agit : a) De petites quantités de semences et de
plants, dans des buts scientifiques ou pour des travaux de sélection ; (…) ». Mais
ce modèle déjà peu permissif est en passe de disparaître, en raison du
durcissement des législations, notamment de l’office européen des brevets.
Les grands semenciers inquiètent, parce qu’ils déterminent
tout ce qui, à terme, finit dans notre assiette et de ce fait, ont une
incidence directe sur notre santé mais aussi parce qu’ils façonnent nos paysages. Mais
avons-nous raison de nous inquiéter ? Malheureusement, il semble bien que
oui. La diversité alimentaire tend
notamment à diminuer dans un futur proche. En effet, tout porte à croire que
les fruits, légumes et céréales vont se standardiser, et ce, en raison de
plusieurs facteurs : d’abord, les nombreuses concentrations réalisées sur
le marché des grands semenciers, dans un deuxième temps, l’augmentation des
barrières à l’entrée sur le marché des semences, enfin, parce que la recherche
étant couteuse, elle va se concentrer, pour des raisons de rentabilité
économique, sur un faible nombre d’espèces.
On constate un important mouvement
de concentration des acteurs de la filière de la semence, et pas des moindres. La
récente fusion de Monsanto avec le groupe Bayer ne vous aura pas échappé, mais
d’autres concentrations sont passées quasiment inaperçues, bien qu’elles
concernent des semenciers de premier ordre : Syngenta fusionne ainsi avec
ChemChina et Dupont avec Dow. De six acteurs principaux sur le marché des
semences, nous allons passer à trois. Trois multinationales qui vont se
partager la quasi-totalité du marché des semences et pesticides. Et fusionnant,
les multinationales de la semence vont mettre la main sur le portefeuille de
brevets de leurs anciennes concurrentes, ce qui aura pour effet, soit d’utiliser
le surplus d’information résultant de la fusion pour développer de nouveaux
projets, soit de capitaliser sur les brevets existants et de poursuivre des
recherches déjà initiées, c’est-à-dire des recherches menées sur peu d’espèces
pour mettre en évidence et/ou sélectionner certains gènes dont l’exploitation serait
particulièrement lucrative. Je vous laisse deviner quelle solution sera privilégiée
par les semenciers. Le problème est que la seconde option amènerait à une réduction
des recherches génétiques pour des raisons de rentabilité, donc à une baisse de
la diversité des semences.
En outre, de plus en plus de barrières se dressent
pour empêcher à d’autres acteurs de pénétrer sur le marché de la semence. C’est
le cas de la disparition prochaine de dispositions spéciales qui autorisaient
jusqu’à présent les agriculteurs et exploitants de sélectionner eux-mêmes leurs
variétés à partir de semences produites par les grands semenciers et protégées,
de ce fait, par des DPI, brevets ou CVO.
Enfin, sur le plan éthique, on peut s’inquiéter de ce que
les grands semenciers produisent des OGM quasi-exclusivement selon des critères
leur permettant d’augmenter leurs marges et de vendre leurs autres produits. Cultiver
des gènes qui permettent aux plantes de survivre aux pulvérisations de Round’Up
et autres pesticides est certainement beaucoup plus lucratif que de sélectionner
ceux qui permettent à une plante de réduire ses besoins en eau, c’est beaucoup
moins utile aussi… Alors oui, ils sont bien beaux les discours des grands
semenciers qui se font une mission de nourrir 9 milliards d’êtres humains à l’horizon
2050. Mais le monde dans lequel ils envisagent de nous faire basculer est loin
de faire l’unanimité. Au Burkina Faso, le choix d’un retour au coton
conventionnel a montré que les réponses proposées par les grands semenciers sont
loin d’être en adéquation avec les attentes des agriculteurs et des
consommateurs. Et si la collusion du monde politique et des grandes
multinationales existe bel et bien, il est toujours possible aux peuples de
dire non et de refuser un modèle qu’ils estiment pernicieux.
Par Charlotte Delanoy
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