Vers un accord Téhéran-Washington ?
"La
question des relations Iran/Etats-Unis est devenue particulièrement complexe et
une décision à ce sujet très délicate à prendre pour chacune des parties. Mais
il faut être réaliste : un jour ou l'autre, ces relations devront être
rétablies. Notre habilité, je dirais notre art, sera de choisir le meilleur
moment" Hassan Rohani, 2004.
A la suite des
attentats du 11 septembre 2001, Georges Bush avait qualifié la guerre contre le
terrorisme de « croisade », ce qui ressemble vaguement à la formulation d'une guerre de la Croix
contre le Croissant, à l'idée d'une guerre de civilisation judéo-chrétienne contre l’islam. Cette guerre
contre le terrorisme a pris la forme d’une « guerre sainte ». Dès
2002, les américains se voyaient distribuer des autocollants proclamant
« Dieu bénisse l’Amérique », il était évident que Dieu était du côté
des Américains dans leur politique étrangère, ils devenaient
l’ « Empire du bien » combattant l’ « Axe du
mal » d’après leurs propres éléments de langage. Autre fait à prendre en
considération, la dernière décennie fut marquée par la fin d’un monde unipolaire et l’émergence de puissances
capables de contrer l’impérialisme américain, dont les figures de proue sont la
Russie qui n’a de cesse d’être présentée
comme la résurrection sanguinaire et péremptoire d’une Union soviétique défunte
et l’Iran dont le qualificatif d’ « État voyou » semble faire
oublier efficacement la quintessence d’une civilisation perse millénaire.
L’idée d’un rapprochement entre un membre
de l’ « Axe du mal » et le « Grand Satan » semble chimérique. En effet, la révolution
Iranienne de 1979 semble avoir signé l’arrêt de mort des relations
internationales de l’Iran avec le monde occidental en tant qu’elle s’est fait
le chantre d’une idéologie politico-religieuse
anti-occidentale qui se veut
communicative et tournée vers l’ensemble du monde chiite, notamment ses
composantes les plus violentes (Hezbollah
libanais, Front islamique de libération de Bahreïn).
Cette déclaration de guerre à l’idéologie occidentale et à l’impérialisme
américain a engendré l’isolement de l’Iran sur la scène internationale. Les
conséquences de cet isolement sont tangibles sur l’économie iranienne et les
conditions de vie d’une population asphyxiée par les sanctions et embargos que
subit l’Iran. Les dirigeants iraniens ont bien intégré qu’il leur fallait
redorer le blason de la république islamique pour sortir de cette impasse,
d’autant plus que son potentiel énergétique et démographique est certain. La
volonté iranienne de ne pas perdre la face devant l’opposant idéologique est
également un facteur important dans la présente démarche, que l’on retrouve
dans la rareté des concessions iraniennes sur le dossier nucléaire.
L’histoire des relations entre
les États-Unis et l’Iran a montré la versatilité de celles-ci. Il fut un temps
où l’Iran était considéré par les américains comme un garant de la stabilité au
Moyen-Orient et un formidable garde-fou contre l’Union Soviétique, c’était le
temps du Shah. Durant cette période antérieure à la Révolution, l’Iran a
bénéficié d’un soutien américain en termes militaire et technologique très
soutenu dans le cadre de la stratégie TWINS
PILLARS. Fait incroyable mais véridique,
les recherches nucléaires de l’Iran qui devaient lui coûter sa réputation
quelques années plus tard, ont commencé en 1953 via la livraison par les Etats-Unis d’un réacteur nucléaire.
L’élection d’Hassan Rohani le 14 juin 2013 semble corroborer
l’hypothèse d’une volonté de normalisation des relations de l’Iran au sein de
la communauté internationale et particulièrement avec les Etats-Unis. Le scheik
diplomate est un interlocuteur fréquentable aux yeux des occidentaux, il avait
su nouer une relation de confiance avec les chancelleries
occidentales alors qu'il était négociateur en chef du dossier nucléaire iranien
entre 2O03 et 2005, faisant même des concessions sur lesquelles il avait été
contraint de revenir, blâmé qu’il avait été par les durs du régime fidèles au
Guide. C’est aussi la marge de manœuvre de Rohani
qu’il faut considérer. S’il est vrai que le Guide Ali
Khamenei est une figure emblématique
dont le pouvoir est effectif, il n’est pas le seul décisionnaire, notamment
dans les décisions liées à la politique étrangère, la constitution de la
république islamique est plus complexe, il doit composer avec plusieurs organes
et fait office d’arbitre, même s’il a pour lui un parlement largement acquis à
la cause des conservateurs. Rohani peut
donc réellement infléchir la dynamique de rejet de l’occident que veulent
insuffler les gardiens de la Révolution.
De fait, les
États-Unis ont échoué à détruire le conservatisme iranien, ils ont commis de
lourdes erreurs géostratégiques. Ils ont
fait tomber deux régimes antagonistes à l’Iran, à savoir les Talibans afghans et le régime de Saddam Hussein,
qui fournissaient tous deux une résistance à l’hégémonie Iranienne dans la
région. Les américains auraient voulu compter sur les chiites irakiens
(humiliés sous Hussein) pour créer un
état démocratique vertueux en Irak et
propager cette dynamique chez les chiites Iraniens pour faire tomber le régime
autoritaire de la République islamique. Une stratégie vaine qui a donné
les résultats inverses à ceux attendus dans la mesure où le nationalisme
iranien s’est nourri de ces tentatives de destruction pour se renforcer.
Or, si l’Iran
parvenait au seuil nucléaire, l’arc chiite serait considérablement renforcé et
ses intérêts protégés par la dissuasion nucléaire. De plus, une vision binaire
réductrice mais intéressante suggère que les alliés de la Russie (premier contre-pouvoir face aux
américains) se trouvent notamment à Téhéran.
Un deal des Etats-Unis avec l’Iran
serait un énorme coup porté aux velléités géopolitiques de la Russie. Aussi, la mise sur le marché du gaz et
du pétrole iranien permettrait une baisse des prix des matières premières qui
viendrait sanctionner l’Arabie Saoudite, dont la question de la responsabilité
dans les attentats du 11 septembre est pour le moins soulevée par les
Etats-Unis.
Les américains
ont un désir de respectabilité fort au sein de la communauté internationale et
la place centrale de l’Iran dans le Moyen-Orient en général et le monde chiite
en particulier intéresse grandement les Etats-Unis.
N’oublions pas que la relation fusionnelle
au satellite Israël s’est fragilisée, ce
satellite intrinsèquement anti-iranien
qui n’a eu de cesse de bloquer toute possibilité de dialogue entre les
américains et les iraniens. Qui plus est, l’administration Obama est moins
soumise à l’influence du lobby pro-israélien que les républicains. Il s’agit
aussi de dire que l’administration Obama n’a jamais pensé être moins présente
que dans le passé au Moyen-Orient, il a été simplement décidé d’œuvrer dans une
plus grande discrétion (utilisation des technologies de pointes comme le drone) et en apportant une plus grande
attention à la communication avec les régimes orientaux, fussent-ils
dictatoriaux. La priorité de la politique étrangère américaine depuis
l’élection d’Obama est de pallier à ce déficit d’image auprès des gouvernements
et des populations orientales. L’instauration d’un dialogue avec les salafistes et les Iraniens va dans ce sens, il
en est de même pour la prise de distance face aux agissements israéliens qui
sont révélateurs d’un sentiment de faiblesse, peut être lié au sentiment de
solitude que le gouvernement israélien ressent et l’évolution de ses relations
avec des États qui lui sont historiquement hostiles est de ce fait
intéressante. Le bombardement des positions de Daesh en Irak
par l'Iran est de nature à montrer qu'un deal est envisagé par les
iraniens : L'Iran doit aller au deal avec à ses côtés un Irak stable, puisque
ce dernier est satellisé par la République islamique et que les ressources
conjointent de l'Iran et de l'Irak pèsent lourd dans la négociation.
Ces différents facteurs
permettent de penser qu’une réhabilitation de l’Iran au sein de la communauté
internationale est possible, souhaitable pour les américains et vitale pour l’Iran
dont l’économie serait revigorée
Dans un
contexte de négociations à 5+1 (Etats-Unis, Russie, Chine,
France, Royaume-Uni et Allemagne), il y a fort à parier que personne ne veuille
d’un accord. La Russie s’y opposera
parce qu’elle y perdrait un allié régional majeur, les européens sont très
virulents à l’égard de Téhéran
(particulièrement la France) et il est très probable qu’un accord s’il est
trouvé, verra le jour sous une forme bilatérale, entre les Etats-Unis et l’Iran, un accord qui heurterait
principalement la Russie et Israël. En définitive, le « Bon »
aurait la peau de la « Brute » en pactisant avec le
« Truand » et ils empocheraient tous deux les bénéfices de cet
accord inattendu.
Très intéressant!
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