Le tatouage est un
art vieux de plusieurs milliers d’années : il est une pratique attestée en
Eurasie depuis le néolithique. Le tatouage a toujours été un signe
d’appartenance à un groupe : un groupe tribal, un groupe religieux, des
pirates, des prisonniers, des marins, des légionnaires… Depuis les années 60 et les années 70 avec le
mouvement Hippie, sa signification a quelque peu changé : on se tatoue
toujours pour montrer que l’on appartient à un groupe – les bikers, les
rockers, les hippies, les punks, les « marginaux » - mais on le fait
avant tout pour revendiquer son originalité, son unicité. Le tatouage est aussi
depuis toujours une façon de se rebeller, de revendiquer quelque chose puisque
l’on peut se tatouer TOUT ce que l’on veut, du message politique à la tête de
mort jusqu’au portrait de ses enfants.
Les limites de sa
démocratisation
Même si le tatouage
s’est démocratisé dans nos sociétés occidentales – ce qui n’est pas le cas au
Japon par exemple où cela est encore vu d’un mauvais œil, il n’en reste pas
moins dérangeant notamment dans le monde du travail. Le corps tatoué divise le
monde de l’entreprise encore très attaché à l’image renvoyée par
l’apparence physique des employés. Au niveau législatif, le code du travail français est encore flou sur le sujet
limitant les tatouages au cadre fort peu défini de “l’apparence physique” et il
arrive que certaines entreprises discriminent lors des entretiens d’embauche
pour cette raison.
De plus, le tatouage
a encore mauvaise réputation. Ayant été utilisé et encore utilisé par les
prisonniers, les skinheads et les gangs pour prouver leur appartenance à des
groupes, le tatouage fait peur. Dans ces cas-là, il représente la violence,
l’illégalité et suscite la crainte au sein de la société. Certains tatouages
ont une signification toute particulière. Par exemple, un tatouage avec les chiffres 14-88 signifie «la
suprématie blanche» relatif aux détenus nazis. Le 14 représente les 14 mots
d’une citation populaire du leader nazi David Lane: «Nous devons assurer
l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs» et le 88 est
raccourci pour la 8ème lettre de l’alphabet à deux reprises : HH qui représente
Heil Hitler. On retrouve des tatouages bien spécifiques aussi pour ce qui est
des gangs aux États-Unis comme en Amérique Latine.
Mareros, jeunes appartenant aux gangs appelés
« maras » au Salvador.
Ils se tatouent pour montrer leur appartenance
à la Mara. Ici c’est la « mara salvatrucha ».
Pourquoi le tatouage est-il si
populaire ?
Le tatouage dans nos
sociétés occidentales s’est démocratisé. Les personnalités du showbiz ont aidé
à cette démocratisation : en effet, la majorité d’entre elles arborent un
ou une multitude de tatouages de toute sorte. Aujourd’hui, se faire tatouer
c’est revendiquer son unicité devant le monde entier, c’est être soi-même
l’artiste qui sculpte son œuvre – ici son corps, mais c’est aussi et avant tout
le vivre comme une liberté. C’est la liberté de modifier son enveloppe
corporelle comme bon nous semble et d’ajouter de la valeur, une signification à
cette enveloppe en la rendant unique. C’est la liberté de rejeter les normes
sociales en rendant visible son tatouage, le faire de telle sorte qu’il soit
symbole d’exclusion, de marginalité. C’est la liberté de le cacher, de lui
ajouter un attrait mystérieux.
Mais n’est-ce pas
qu’un leurre ? N’est-ce pas un acte encadré plutôt qu’une réelle
liberté ?On veut à tout prix
que notre tatouage nous ressemble, il faut pour cela qu’il soit le plus
original possible, qu’il colle au maximum à notre personnalité pour montrer
justement que l’on en a, de la personnalité, que l’on est quelqu’un qui
s’affirme et s’assume. Mais, n’est-ce pas au contraire un acte de conformité
totale aujourd’hui ? Combien de jeunes filles ou de femmes ont une phrase
« philosophique », phrase qui d’après elles donne du sens à leur vie,
les guide ? Combien d’hommes ont un tatouage tribal alors qu’ils
n’appartiennent ni de près ni de loin à ces communautés ou un tatouage en
forme de toile d’araignée sur le coude croyant qu’il est le symbole des piliers
de comptoir alors qu’en réalité il signifie que la personne le portant a été
piégée, envoyée en prison comme une proie prise dans un filet ?
Le tatouage de nos
jours révèle d’une crise de l’existence, preuve de la lutte de l’homme contre
sa condition d’être social. L’individualisme croissant de nos sociétés
occidentales incite les personnes à chercher des repères, à s’assurer qu’ils
sont des êtres à part entière, qu’ils existent et qu’ils sont capables de
s’exprimer, notamment par le biais des tatouages. Loin d’être une démarche
réellement personnelle, le tatouage n’est rien d’autre qu’une démarche
sociale : pour
certains c’est un besoin d’appartenance, pour d’autres c’est une volonté de
marginalisation ou encore la peur d’être rejeté d’un cadre social si l’on ne
suit pas les « règles » ou les « modes » en place.
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