C’est
tout en écoutant la BO magnifique de ce film que je m’adonne pour la première
fois, non sans émotion, à une critique ciné. Comme je l’explique dans ma petite
bio sur ce blog, je souhaite créer cette année une série d’articles dits :
« critiques interactives ». Le concept est simple : j’expose
dans un premier temps mon ressenti, mes interprétations et j’évoque des pistes
de réflexions possibles autour desquelles ensuite nous pourrons débattre, je
l’espère, en commentaires. Le but étant
de donner l’occasion aux plus cinéphiles d’entre vous de partager vos
connaissances et d’enrichir, voir de bouleverser le regard que nous avons d’un
film (et peut être même du cinéma qui sait !).
Une œuvre de génie :
La coutume veut
que l’on rappelle toujours le pitch dans un premier temps, alors allons
y :
La fin du monde
approche et c’est dans d’étranges circonstances que Cooper (Matthew McConaughey)
rejoint un groupe d’explorateurs spatiaux formé par la NASA pour explorer une
nouvelle galaxie à la recherche de planètes habitables. Cooper, père de famille
abandonne donc son ranch,son beau père, sa fille (Murphy) et son fils. Mais la théorie de la relativité
oblige, le temps passe plus vite sur Terre que dans l’autre galaxie et Cooper
voit ses enfants vieillir plus vite que lui au fil de leurs messages vidéos
depuis la Terre reçus de manière épisodique.
Leurs relations, au départ très complices, se détériorent tandis que nos
explorateurs poursuivent leur périple spatiale afin de sauver les habitants de la Terre.
NB : Ce
scénario est cosigné par l’astrophysicien Kip Thorne, un des premiers
scientifiques à avoir travaillé sur les vortex traversables et les machines à
remonter le temps.
Là en théorie
commencent les spoilers, donc seuls ceux qui ont vu le film peuvent continuer
la lecture !
On tourne en rond ?
«
un pitch simple mais un voyage épique »
Une nouvelle fois le pitch est simple mais le
déroulement ô combien captivant. Interstellar c’est un voyage spatio-temporel pas seulement pour les
personnages mais pour nous aussi. Tout tourne : le vaisseau, la Terre, la
musique semblable par moment à un rouleau compresseur, l’aiguille de la
montre donnée par Cooper à Murphy, nous entrainent inlassablement dans cet
espace. On sort du cinéma comme ivres. C’est peut-être cela la
force du film :il nous enivre. Tous les aspects du scénario qui nous
sembleraient absurdes, scabreux, à première vue (comme le changement de galaxie
rendu possible par le dépôt d’un « portail » près de Saturne par on
ne sait qui) on les accepte. Plus on s’éloigne de la Terre, plus la tension
monte, plus la musique s’emballe et plus le scénario se complexifie. Ainsi
c’est dans une atmosphère totalement onirique, psychédélique que s’achève le
voyage de Cooper qui après avoir plongé dans le trou noir Gargantua se retrouve
dans… la bibliothèque de sa fille, enfin, le meuble entends-je. Il comprend
alors que la gravité, et surtout l’amour ont transcendé l’espace et le temps. Il
est le fantôme dont sa fille parlait au
début du film. La chambre de cette
dernière où se trouve la bibliothèque est comme un portail qui lui permet de
traverser les époques. Et c’est ainsi qu’il communique à Murphy (devenue une
grande scientifique à l’âge adulte) les éléments manquants à l’équation qui lui permettra de sauver la
Terre.
Qui dit voyage
spatial, dit Kubrick : des similitudes et de grandes différences avec
l’Odyssée de l’espace :
-
Une vision plus optimiste des nouvelles
technologies :
Pour Nolan les robots ne sont là que
pour nous servir puisqu’ils ont été conçus pour cela, Cooper pourra ainsi
compter jusqu’au bout sur son robot.
Kubrick quant à lui, donne dans son film une image inquiétante des nouvelles
technologies avec l’ordinateur de bord du vaisseau: Carl, qui
tente de se débarrasser de l’équipage à bord quand il apprend qu’on veut le débrancher.
-
L’acmé finale est selon moi, semblable entre 2001
et Interstellar. On retrouve la figure de l’homme héroïque qui achève son
voyage interstellaire en solitaire à la recherche de réponses aux questions
métaphysiques de l’humanité. Le pilote plonge au bout du voyage, dans un vortex
de couleurs en contraste avec l’obscurité spatiale. Il s’agit là de
l’achèvement d’un voyage initiatique, au bout du compte, le vaisseau se
désagrège et l’homme se retrouve alors
dans un milieu onirique, psychédélique. Et tandis qu’on le croit vouer à la mort,
il survit ou plutôt il renaît. Mais dans les deux films, la personne qui sort
de ce voyage initiatique n’est plus la même, elle devient un
surhomme incarné par la figure du fœtus astral chez Kubrick et du Cooper
devenu maître du temps chez Nolan.
Qui dit voyage
spatial, dit aussi Gravity…
Gravity avait reçu de nombreuses louanges pour son
réalisme. Notamment la critique scientifique avait apprécié que « pour une
fois » un film parvienne à nous « faire entendre » si l’on peut
dire le « silence spatial ». Aussi l’immersion était totale grâce à la 3D
et à la manière de filmer les spationautes. Dans Interstellar, l’espace est plus
imprégné de l’Esthétique chère au réalisateur, que d’un réalisme à la hauteur
de Gravity. On retrouve dans cet espace glacial obscur, les couleurs
qu’affectionnent Christopher Nolan, le bleu métallisé, le gris, le blanc
glacial. On peut aussi retrouver des
motifs et des symboles semblables à ceux d’Inception, ou plus récemment de Man
of Steel : la glace et l’eau sont très présentes, on retrouve le motif du
temps qui passe et qui tourne. Dans Inception c’est la toupie qui tourne, ici
tout tourne : le vaisseau, les rampes de lancements qui envoient le
vaisseau aux confins de l’univers, les aiguilles de la montre de Cooper.
Merci Hans Zimmer !
Le duo de choc du box office a été une nouvelle fois recomposé !
Pour ce film Hans Zimmer semble avoir renouvelé un peu petit peu sa partition. On
retrouve certes les basses écrasantes, une musique électronique discordante qui
se mêle à des chœurs et des instruments plus classiques mais le compositeur à
succès a introduit pour Interstellar un nouvel instrument : l’orgue.
D’après vous pourquoi ce choix ?
-
Peut être est-ce le reflet d’une certaine
spiritualité (l’orgue est l’instrument des cérémonies chrétiennes…). Jamais
évoquée par Nolan, elle est pourtant omniprésente du début jusqu’à la fin. Qui
sont ces fantômes, ces anges gardiens qui ont guidé Cooper ? Nous y revenons par la suite…
-
Quand Matthew se retrouve en fin de film dans la
bibliothèque, j’ai d’abord cru justement qu’il était à l’intérieur d’une sorte
d’orgue, d’ailleurs il enfonce les livres comme on enfoncerait les touches d’un
piano ou d’une orgue pour communiquer avec sa fille.
-
Cette symbolique de l’orgue est peut-être là pour
nous montrer que l’homme du futur pourrait disposer du temps comme d’un instrument.
Le dénouement amène aussi à se poser des questions sur
notre cheminement spirituel (comme si le progrès nous amenait peu à peu à
prendre conscience que nous sommes nos propres anges gardiens et que
Dieu finalement c’est l’homme du futur).
L’heure est aux
interprétations les plus folles : lâchez vous !
-
Matt Damon joue le Dr Mann : selon
moi ce nom n’a pas été choisi au hasard. Il représenterait peut être l’humain qui n’a pas évolué et défend une
conception darwinienne de l’homme mu par l’instinct de survie. Souvenez-vous,
c’est lui qui a prétendu que sa planète était habitable (alors que ce n’est vraiment
pas le cas…) afin que l’on envoie un
équipage sur sa planète. Il a mis en péril la mission et l’humanité dans le
seul but de « sauver sa peau ».
Le combat entre Cooper et Mann sur la planète glaciale : c’est le
combat entre deux humanités. Qu’est ce
qui doit guider l’action : l’instinct de survie ? L’amour ? Mann a perdu la tête et tandis qu’il tente de
se débarrasser de Cooper, il lui dit : « statistiquement il a été
prouvé qu’avant de mourir, la dernière image que tu verras sera celle de tes
enfants »…
-
Interprétation religieuse du film :
Bon là ça part un petit loin pour
finir. Tachons d’être concis.
Et si Interstellar était un film
profondément religieux malgré qu’il s’agisse d’un blockbuster et qui plus est
d’une œuvre de science-fiction ?
Pendant tout le film, on se
demande : qui tente de sauver l’humanité dont la terre natale se
meurt ? Pour rappel, la NASA évoque à demi-mots « des individus qui
semblent nous vouloir du bien » qui auraient placé un portail près de
Saturne afin de nous permettre de nous
rendre dans une autre galaxie (pour la théorie « du trou de ver »
rendez-vous à Paul Sabatier). Ces êtres venus d’en haut, et le fantôme de
Murphy nous plongent tout le long du film dans un profond mysticisme. Et finalement on se rend compte au bout du
voyage, que c’est les terriens eux même ou plutôt des terriens du futur ayant
réussi à se sauver grâce à la technologie (cela n’est qu’une interprétation),
qui viennent nous sauver en traversant le temps devenu une dimension comme une
autre pour eux.
On replonge alors dans les textes de Feuerbach
(l’immensité de Dieu, c’est peut-être la figuration de l’immensité des potentialités
de notre raison), et l’on s’écrie à la manière d’Apollinaire : « Dieu
c’est l’homme. »
Nolan semble jouer de cette vision,
en faisant de Cooper un héro hors du commun, s’apparentant alors à un Dieu
vivant. Sous bien des aspects, le personnage de Cooper est semblable à l’image
traditionnel de Dieu :
-
C’est un homme. Il a la figure du père protecteur,
voulant d’abord protéger sa famille, puis sauver l’humanité (en ce sens il est
bienveillant comme un Dieu).
-
On remarque dès le début que Cooper est seul, sa
femme est morte, cela peut rappeler les grands monothéismes où Dieu n’a pas de
compagne.
-
Enfin la relation entre Cooper et sa fille peut
figurer la relation que tout croyant a avec son Dieu :
Il y a d’abord
beaucoup de promesses non tenues : Murphy en veut à son père
car elle sait qu’il ne rentrera jamais. Elle éprouve dès le début une profonde
rancœur envers lui. Elle se sent abandonnée.
Plus elle grandit, plus elle croit que jamais elle ne reverra son père, qu’il ne tiendra pas ses promesses et qu’il la laissera mourir sur Terre. Les rapports qui se détériorent entre le père et la fille, peuvent ainsi figurer les rapports que tout croyant peut entretenir avec la religion face aux difficultés de la vie.
Plus elle grandit, plus elle croit que jamais elle ne reverra son père, qu’il ne tiendra pas ses promesses et qu’il la laissera mourir sur Terre. Les rapports qui se détériorent entre le père et la fille, peuvent ainsi figurer les rapports que tout croyant peut entretenir avec la religion face aux difficultés de la vie.
-
Le film nous transmet peut être ainsi un message
implicite : la scientifique (Murphy) pour trouver l’ultime solution à son équation a eu besoin de croire en son
père après des années de rancœur et de désillusions. La réconciliation entre
Murphy et Cooper veut peut être symboliser une nécessaire réconciliation entre
la science et « un Dieu » (au sens de réalité supérieure qui nous
dépasse) pour le bienfait d’une humanité en perdition.
-
L’ambiguïté est présente jusqu’au bout. Pour rappel
c’est au lit de mort de sa fille que Dieu (ou plutôt Cooper…), réapparaît à la
fin du film…
Ainsi ce n’est peut-être pas par hasard que le journal La
Croix a multiplié les éloges envers ce film.
[Attention spoiler]
RépondreSupprimerBon article! J'ajouterai quelques points :
1. "On retrouve dans cet espace glacial obscur, les couleurs qu’affectionnent Christopher Nolan, le bleu métallisé, le gris, le blanc glacial."
Petite anecdote : Nolan est daltonien! Raison pour laquelle ses films sont visuellement sombres (ce qui n'est pas pour nous déplaire)!
2. Pour la fin du film, après sa mort imminente, je pense que cooper finit par l'accepter et voit ce que l'on pourrait assimiler au paradis. Tout est parfait et ressemble étrangement à ce qu'il a pu voir au cours de sa vie. Tout paraît trop facile.
A noter que la station spatiale est similaire à celle du film Elysium!
3. Seul défaut du film : Après des années sans pratiquer, Cooper pilote une navette spatiale du jour au lendemain! Bon on pardonnera à Nolan ce petit détail vu le reste!
En bref : Une réalisation proche de la perfection. Des acteurs qui ne font pas que jouer un rôle, ils l'incarne en réalité. Un scenar qui fait beaucoup réfléchir sur l'amour, l'instinct de survie, les mystères de l'espace, la mort, les nouvelles technologies... On sort du film sans voix mais avec beaucoup de questions en tête!
A quand son prochain film?! On parlait de James Bond il y a quelques temps...
Etant un grand fan de Nolan, je vous recommande tous ses films (courts métrages inclus).