Le
prix du progrès
D’après une étude réalisée dans 30 pays par la multinationale Millward
Brown spécialisée dans les médias et la communication, un utilisateur de
smartphone passe en moyenne environ deux heures et demie les yeux rivés sur son
nouveau partenaire social. Hier réservé aux passionnés de nouvelles technologies,
le smartphone a su se démocratiser jusqu’à supplanter aujourd’hui la télévision
aux yeux des accros aux multimédias. Il faut dire que le smartphone décline désormais
un large panel de fonctionnalités qui sait nous faciliter la vie : à quelle
heure passe mon bus ? Quels cours ai-je ce matin ? Quelles sont les
dernières actualités ? Combien reste-t-il d’argent sur mon compte en
banque (éternelle question de la fin de mois pour l’étudiant) ? Jusqu’à
cette dernière lubie qui voudrait conférer au smartphone des vertus sociales. Comment
donc exister dans ce bas-monde sans être connecté à la sphère sociale
virtuelle ?
Car oui, vous êtes, nous sommes nombreux, et ce chiffre ne cesse de
s’accroitre, à accorder une prime importance aux réseaux sociaux et à leur partenaire
de prédilection : le smartphone. Outil de sociabilisation, ce dernier
permet de poster n’importe quel moment de nos vies sur Instagram, de réagir à tout
et (surtout) n’importe quoi sur Twitter, de montrer l’ampleur de nos relations
sociales et de nos sorties culturelles sur Facebook ou Snapchat… Mais tout ceci
a un prix. S’il nous rapproche de ceux qui sont loin de nous, le smartphone
impose aujourd’hui une distance difficilement franchissable avec ceux qui nous
entourent. Le smartphone produit une bulle, place l’utilisateur dans un cocon qui
le coupe du monde extérieur.
En effet, bien pratique pour échanger et entretenir ses relations de
longues dates lorsqu’il s’agit d’un étudiant ayant quitté sa ville natale pour
une contrée lointaine, le smartphone se révèle être la kryptonite de Monsieur
tout le monde. Le plus grand pouvoir de l’Homme n’est-il pas justement d’être
humain ? De s’ouvrir aux autres et de découvrir ses semblables ? De
tisser des liens avec ceux qui l’entourent ? Aujourd’hui le smartphone est
le rempart à autrui, une arme d’inhibition massive. Le super-héros moderne est
finalement celui qui sourira dans le métro, qui s’assiéra à côté de vous, qui vous
parlera sans autre arrière-pensée que celle du partage. Un moment éphémère,
cher. Car aujourd’hui la règle est au repli sur soi-même, à la négation de l’autre ;
il n’y a qu’à voir la série de photos de l’artiste londonien Babycakes Romero (dont
quelques-unes sont présentées ici) intitulée fort justement « la mort de
la conversation » pour le (re)découvrir.
Pire encore, pour briller par la
richesse de notre vie sociale, on affiche la moindre de nos sorties culturelles
ou gastronomiques, on s’offre à ceux qui sont à des kilomètres au détriment de
ceux qui nous accompagnent. On prend en photo ou en vidéo un concert non plus
pour garder un souvenir impérissable d’un moment de découverte, de plaisir et
d’émotion intenses, mais simplement pour se montrer au monde. Paradoxe qui veut
que l’on évite autrui mais que l’on vive pour les autres. Car cette vie
virtuelle, on ne la vit plus pour nous, mais bien pour ceux qui nous
observent. Cette scène
(caricaturale ?) de l’Instagrameuse qui prend en photo le plat qu’elle
« partage » avec un Jules qu’elle délaisse pour entretenir la vacuité
d’une relation fictive avec ses followers est l’apothéose du ridicule des
nouveaux comportements dictés par la soif de reconnaissance virtuelle. On se
plait à entretenir des relations plus hypocrites les unes que les autres avec des
contacts virtuels qu’on ne voudrait pas croiser dans la rue. Alors qu’il suffit
souvent de lever la tête pour voir que le bonheur est finalement sous nos yeux
et pas dans un fil d’actualités.
Levons donc la tête, vivons
l’instant présent, ouvrons nous à l’autre pour ce qu’il est, cessons de nous enfermer
dans une bulle toujours plus impénétrable, prenons le temps de nous connaitre
dans un monde où tout va de plus en plus vite.
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