Il est de ces préciosités
frappées des grâces les plus transcendantales. Qu’elles soient exaltées ou
sanctifiées, nappées de foudre ou de brasier, qu’on les nomme sylphides ou nymphes
bien volontiers, le constat n’est autre que la plus parfaite implacabilité :
ces douces créatures écrasent et subjuguent de leur splendeur. Dorées,
auréolées de la plus iridescente lumière, de ces rares élues jaillit une
puissance indicible : oui, la beauté physique, summum de la subjectivité
et de la relativité des goûts, est parfois si pure qu’elle en devient
incontestable. Oui, certaines de ces héritières sont en droit de tutoyer les divinités
les plus harmonieuses. Oui, finesse et sublimité comptent bien parmi les lames
les plus affutées d’un couteau suisse retors et raffiné que l’on appelle
communément femme.
D’une de ces femmes je vous
conterai l’histoire, d’une de celles qui a mis Le monde a ses pieds j’esquisserai
le portrait (en référence à l’ouvrage de Géraldine Maillet dont je me suis grandement inspiré, cette ancienne mannequin
devenue écrivain a retracé le parcours de celle qui nous intéresse
aujourd’hui).
Été 1987, Ruslana Korshunova voit
le jour à Almaty, triste ville du fin fond froid du Kazakhstan. Ajoutez les
lettres g et h, changez le deuxième a en i et obtenez le mot « Almighty »,
synonyme de toute-puissance pour nos amis les anglophones. Mais de grâce, n’y
voyez pas là ce que d’aucuns se plaisent à vulgairement nommer coïncidence.
Non, voyez-y plutôt le dessein grandiose, limpide et flamboyant du Très-Haut.
Almaty disais-je donc ; car oui, au sud de la Russie, à l’est de la Turquie, au nord de l’Afghanistan, à l’Ouest de la Mongolie ; à l’enchevêtrement des mondes en somme, un astre brûle et irradie d’un rouge carmin la kazakhe pénombre. Enfance miséreuse et blême, depuis toute petite déjà, la belle au bois dormant rêve d’ailleurs plus chatoyants, de la Russie et de Moscou en particulier.
Almaty disais-je donc ; car oui, au sud de la Russie, à l’est de la Turquie, au nord de l’Afghanistan, à l’Ouest de la Mongolie ; à l’enchevêtrement des mondes en somme, un astre brûle et irradie d’un rouge carmin la kazakhe pénombre. Enfance miséreuse et blême, depuis toute petite déjà, la belle au bois dormant rêve d’ailleurs plus chatoyants, de la Russie et de Moscou en particulier.
Mais ne serait-ce pas davantage
la belle au sourire d’argent rêvant d’ailleurs plus chatoyants ? Aurais-je
fauté ?
Non, enfin pas tout à fait. Il y’a de cela trente secondes (ou plusieurs minutes pour les plus piètres lecteurs) je laissais entrevoir que certaines femmes naissaient supérieurement belles. Mais vous autres pouilleux n’êtes pas sans savoir que des dents anarchiquement chevauchées ne forment jamais les sourires les plus ravageurs qui soient, seulement les plus tapageurs. Qu’à cela ne tienne, et qu’importe si toutes les économies de la famille doivent y passer, un détour dans une clinique dentaire de la banlieue natale et le tour est joué : voilà une ferraillerie clinquante dans la bouche d’une Ferrari ne demandant qu’à gronder. Cette Ferrari fera grand bruit, mais chaque chose en son temps.
Non, enfin pas tout à fait. Il y’a de cela trente secondes (ou plusieurs minutes pour les plus piètres lecteurs) je laissais entrevoir que certaines femmes naissaient supérieurement belles. Mais vous autres pouilleux n’êtes pas sans savoir que des dents anarchiquement chevauchées ne forment jamais les sourires les plus ravageurs qui soient, seulement les plus tapageurs. Qu’à cela ne tienne, et qu’importe si toutes les économies de la famille doivent y passer, un détour dans une clinique dentaire de la banlieue natale et le tour est joué : voilà une ferraillerie clinquante dans la bouche d’une Ferrari ne demandant qu’à gronder. Cette Ferrari fera grand bruit, mais chaque chose en son temps.
La Rapunzel russe (Raiponce en
français) – surnom glané grâce à sa dense et interminable chevelure - doit
faire ses classes, prendre du galon. La vie n’est faite que de petits
rien n’est-il pas ?
Lorsque la belle pose pour quelques brefs clichés d’un journal régional insignifiant, cette dernière est bien à mille lieues de savoir qu’elle fait éclore là, la fleur luxuriante d’une vie hors-norme. En effet, elle est repérée par Debbie Jones, travaillant pour le compte de la très célèbre agence de mannequinat britannique Models 1 ; agence des quelques Naomi Campbell, Kate Moss ou Linda Evangelista.
Lorsque la belle pose pour quelques brefs clichés d’un journal régional insignifiant, cette dernière est bien à mille lieues de savoir qu’elle fait éclore là, la fleur luxuriante d’une vie hors-norme. En effet, elle est repérée par Debbie Jones, travaillant pour le compte de la très célèbre agence de mannequinat britannique Models 1 ; agence des quelques Naomi Campbell, Kate Moss ou Linda Evangelista.
Ladite Debbie tombe instantanément
sous le charme. Bien plus encore ; elle est envoûtée, emportée, comme électrisée
devant l'un de ces trésors que l’on ne trouve guère qu’une ou deux fois dans la
carrière d’un agent. Madame Jones voit tout en grand pour sa protégée, tout se doit
d’aller très vite : aucun coup d’épée dans l’eau, pas plus de marivaudage,
la jeune adolescente est arrachée à sa si triste Almaty et doit quitter sa
mère, son frère et ses quelques amis pour la démesure, pour la frénésie d’une
vie romanesque.
Dès lors tout s’enchaîne, de Londres
à Paris, de New York à Milan en passant par Moscou ; la jeune kazakhe au sourire
d’acier intrigue autant qu’elle hypnotise. Elle doit alors apprendre le métier,
tous ses rouages et toutes ses complexités pour ne plus être la frêle et gracile
mannequin des débuts. Non, elle doit être bien plus que cela ! Elle se doit d'être fulminante, de frapper quand il le faut, de se mouvoir comme une ombre cadavérique et insipide pour mieux éclater sous les
feux saillants des projecteurs ! Et cela Ruslana l’a très vite compris. Oui, la
belle n’est pas que belle, la belle est intelligente, lucide et clairvoyante.
Elle ne s’y trompe pas, jamais, elle sait pourquoi elle doit briller : sitôt que l’argent afflue, celui-ci est envoyé à sa famille. Aucun coup d’épée
dans l’eau disais-je. Mais très vite la voilà assaillie de glaciales
interrogations : et si demain elle ne devenait qu’une chimère ? Et si demain
les aveuglantes fumées de la gloire venaient à disparaître au loin ?
Oui, elle se voit désormais ceinturée par la peur. Crispée, angoissée qu’elle est devant la férocité d’un monde en perpétuelle effervescence, elle trouve alors refuge dans l’écriture ; et c’est sur les réseaux sociaux russes qu’elle aime à s'épancher, à lâcher prise pour mieux se recentrer, pour mieux tyranniser les podiums. Taraudée par les plus existentielles questions, elle voit sa conscience se diluer, s’estomper au gré des multiples succès et révérences. Les griffes sont maintenant plus qu'acérées, les ailes se déploient alors.
Oui, elle se voit désormais ceinturée par la peur. Crispée, angoissée qu’elle est devant la férocité d’un monde en perpétuelle effervescence, elle trouve alors refuge dans l’écriture ; et c’est sur les réseaux sociaux russes qu’elle aime à s'épancher, à lâcher prise pour mieux se recentrer, pour mieux tyranniser les podiums. Taraudée par les plus existentielles questions, elle voit sa conscience se diluer, s’estomper au gré des multiples succès et révérences. Les griffes sont maintenant plus qu'acérées, les ailes se déploient alors.
Car oui, paradoxalement
traverse-t-elle ces brumes de flottement et d’anxiété avec un brio tout
particulier. Et les plus prestigieux contrats de se multiplier comme autant de
gages de reconnaissance du travail accompli. Christian Dior, Kenzo, Moschino,
Vera Wang, Paul Smith, couvertures des Vogue russes et polonais, des Elle et
Glamour français. Nouvelle coqueluche, nouvelle Hit girl d’un monde qui ne dort
jamais, qui s’agite sans cesse comme les petites mains s’affairant aux
dernières retouches. Splendeur et gloire, fureur et esclandres diverses, sa vie
sentimentale en dents de scie, ses dents fraîchement délestées de l'appareil dentaire de jeunesse. Entre deux shootings photo Ruslana s’essaie aux
flâneries, aux batifolages avec un serveur ukrainien à l’hôtel du palais à
Biarritz. Entre deux défilés Ruslana tombe amoureuse d’un riche homme d’affaires
moscovite. Entre deux essayages Ruslana pleure parce que ce dernier s’est
sauvé, l’abandonnant lâchement, ne lui laissant que des ruines d’estime, des
lambeaux de rancœur. Ruslana est anorexique, les antidépresseurs et les rails
de cocaïne comme seuls alliés lorsque douleur et folie viennent insidieusement la submerger. Le nez fourré dans une poudre aussi blanche que sa peau slave, le cliché du top model drogué et désemparé est bien l’un des lieux les plus
communs qui soit. Et lorsque le pinacle de sa carrière survient, lorsqu’elle
est désignée égérie Nina Ricci pour le parfum Nina, les dés sont déjà
jetés. La dépersonnalisation a opéré, son âme est sclérosée, presque noire, mutilée
par les lacérations violentes de la solitude. En témoigne ce triste et énigmatique
message posté sur son blog le 11 mars 2008 :
« C’est ma faute si mon cœur se
brise. Je suis une pute. Je suis une sorcière. Peu importe ce que tu me dis. Si
je m’occupe des autres alors qui s’occupe de moi ? Et si je m’occupe de
moi, alors je sers à quoi ? Ça fait mal, comme si quelqu’un avait pris une part
de moi, l’avait déchirée, piétinée sans relâche et dispersée de tous les
côtés. »
« J’ai besoin de cette fille
pour m’abîmer » disait Nicolas de Staël à propos de Jeanne Polge, la femme
qu’il aura aimé jusqu’à son dernier souffle, sa continuelle source
d’inspiration. Ruslana Korshunova, elle, semble bien avoir besoin de cette vie
pour s’abîmer, pour se dévaster même. Plus les regards des autres se veulent contemplatifs à son égard
et moins ose-t-elle se regarder ; le miroir de l’âme est devenu chancelant,
fissuré comme le triste reflet d’une vie saccadée, incisée puis vidée de son
essence même.
28 juin 2008,
14h02
130 Water Street
Financial District
New York
Aujourd’hui le ciel de New York
s’est paré d’un bleu azur, cristallin et sans fêlure aucune. Ruslana déambule
dans son grand appartement. Dehors la masse grouille, les voitures klaxonnent
et les habitants pestent. Elle fume nonchalamment, comme pour laisser exhaler l'affliction qui l’aurait prise, rongée puis dévorée jusqu’à la plus substantielle moelle. Le
cœur n’y est plus, et chaque geste semble être une épreuve pour celle qui,
jadis, rêvait de cette vie aux contours grandiloquents. Mais qu’importe la luxuriance lorsque le cœur, lui, s'en est allé. Le silence se fait en réalité
bien plus pesant que le tumulte de Manhattan, la Rapunzel russe n’a plus rien
d’une princesse. C’est une reine déchue, violentée et meurtrie qui gît, affalée
sur un Chesterfield teinté de magenta. C’est une enfant trahie qui écrit ces
quelques mots, si tristement déchirée par l’aspérité la plus froide de notre
monde : « Mon rêve est de voler… oh, mon arc-en-ciel est trop
haut. »
Alors elle se lève une
dernière fois, comme animée de l’ultime inspiration, la plus salvatrice qui soit.
Les battements du cœur lancinants, les mouvements du corps erratiques et l’âme
nécrosée à tout jamais.
Les ailes pleinement déployées
L’asphalte new-yorkaise prête à
recevoir la plus sublime des offrandes
Les pieds ne touchent plus le sol
Princesse, demande à Dieu
pardon !
Elégante comme Céladon
Agile comme Scaramouche
Je vous préviens, chers Myrmidons,
Qu’à la fin de l’envol, elle
touche.
Karl SINGER
Liens complémentaires pour
qui aimerait en savoir plus et, par la même, comprendre le titre de
l’article :
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