Paradoxalement,
jeudi dernier, les yeux des téléspectateurs n’étaient pas rivés sur Alain
Juppé ; c’est bien plus l’autre casting de l’Emission Politique, à savoir
ses interlocuteurs, qui a fait le buzz. Quelle mouche avait donc piqué les
journalistes de France 2 ? Entre l’ancien trader « repris de
justice » Jérôme Kerviel, le youtubeur Jhon Rachid et le très controversé
maire de Bézier et proche du Front National Robert Ménard… Voici notre recap.
Récap
Politiquement,
Alain Juppé a égrené son refrain favori : face au candidat qui clive, il
se pose en « candidat du rassemblement ». Des termes qui ne sont pas
sans rappeler ceux d’un certain François Hollande en 2012. Sa référence politique
? « Le général de Gaulle »… Comme une obligation à la primaire des
Républicains.
En matière d’immigration,
il se targue d’être l’homme du parler vrai et non celui de la démagogie :
il faut accueillir les migrants, mais de manière contrôlée, encadrée. Schengen et
le contrôle des frontières doivent être renégociés ; il s’agit d’un défi
considérable. Quant à l’immigration illégale, Alain Juppé, face à Nicolas Sarkozy
qui appelle à un référendum le jour du deuxième tour des législatives, souhaite
durcir les conditions du regroupement familial.
Interrogé à
plusieurs reprises au sujet de son âge vieillissant, par le youtubeur Jhon
Rachid ainsi que par l’humoriste Charline Vanhoenacker, arrivée avec un
skateboard sur le plateau, l’ancien locataire de Matignon s’est défendu :
à ceux qui l’accusent de manquer d’énergie, il rétorque que le plus important
est de savoir bien s’entourer, mettant en exergue sa politique bordelaise.
En termes de
politique pénale, il prône la suppression des réductions automatiques de peines,
le rétablissement des peines plancher ainsi que la construction de 10 000 places
de prison et la création d’une police pénitentiaire dont la mission serait
de faire du renseignement à l’intérieur des prisons. Aujourd’hui,
souligne-t-il, la justice concentre 2% du budget de l’Etat : c’est
insuffisant.
Sur le plan
économique, Alain Juppé s’est posé en ultra-libéral : flexibilisation des
entreprises, mais aussi développement de l’apprentissage et de la formation en
alternance, dès la classe de 5ème.
Son objectif, « c’est
le plein emploi ». Pour lutter contre le chômage, M. Juppé propose une dégressivité
des allocations chômage (plancher à 870 euros puis dégressivité au bout d’un an,
puis au bout de 18 mois) qu’il conditionne à la reprise de l’activité
économique. Toujours dans une optique très libérale, le meneur de la réforme
des régimes spéciaux de 1995 annonce la couleur avant l’élection : 39
heures et retraite à 65 ans. Sans compter l’augmentation de la TVA qui
compenserait la baisse des charges des entreprises !
Quant à la
politique industrielle, Juppé se pose en contradicteur de Montebourg, deux
semaines plus tôt : « L’Etat est un mauvais actionnaire », il
faut accepter de se retirer du capital d’entreprises jugées faibles. Il faut
enfin baisser les charges afin de favoriser la production sur le territoire
français, tout en s’abstenant de s’enfermer derrière des barrières
protectionnistes.
Sur le plan
européen, Alain Juppé souhaite redonner une voix à la France afin qu’elle soit
de nouveau écoutée au sein de l’Union Européenne.
Sur le plan
international, il appelle les Russes à réfléchir : Daech est l’ennemi
numéro 1 mais cela ne doit pas occulter les responsabilités de Bachar El Assad.
Notre parti pris
Deux
heures face aux Français durant lesquelles Alain Juppé ne s’est pas laissé
mettre en boîte par Léa Salamé, intervieweuse choc de l’émission, qui a eu du
mal à lui imposer son style, un brin arrogant, un brin insolent. C’est sans
trop de difficultés que l’ancien locataire de Matignon repartira – en skate ou
non – à Bordeaux après cette émission.
Tout
comme François Hollande en 2012, Alain Juppé se pose avant tout en rassembleur
des Français et de son propre camp. Il opte pour des figures traditionnelles de
la droite (De Gaulle), ne se prononce pas ou prou au sujet de la Syrie, de l’Union
Européenne, de la Syrie, de l’immigration, annonce une demi-mesure sur le
regroupement familial… si ce n’est économiquement et pénalement, peu de
positions très tranchées susceptibles de cliver, mais des positions pour le
moins floues qui, par certains aspects, rappellent le loup de Martine Aubry :
Alain Juppé se préserve. On semble face à des recettes traditionnelles dans une
primaire de droite sans aucun effort particulier d’imagination.
Mais
ce que l’on retient avant tout de ce Grand Oral, c’est la surenchère libérale
et pénale : à droite toute !
Entre 39
heures et retraite à 65 ans, on assiste à ce que la droite fait de pire :
un pseudo-libéralisme traditionnel, presque conformiste (c’est un comble !).
Au lieu de penser le travail différemment et proposer des réformes de
profondeur (un autre système des retraites, une réflexion et une réinvention
des contrats de travail comme le sous-entend Jean Tirole avec le contrat de
travail unique…), les Républicains semblent revenir à leurs poncifs :
travailler plus pour gagner plus. Sur un plan moral, pourquoi pas.
Mais entre
vieillissement de la population et automatisation, le « plein emploi »
si cher à Alain Juppé ne sera bientôt plus une option ; et il sera trop
tard pour mettre en place des réformes nouvelles, une philosophie du travail
novatrice (revenu universel de base, idée, rappelons-le, issue de la pensée de
Thomas Paine, lui-même grand penseur libéral, et pourtant peu envisagée par les
Républicains) sans sacrifier une génération entière. Par ailleurs, on comprend mal
comment la hausse de la TVA, donc la baisse de la consommation, pourrait
conduire à une meilleure santé économique des entreprises françaises (dans une France
traditionnellement plus importatrice qu’exportatrice).
Sur le plan
pénal, toujours plus de prisons et moins de « laxisme ». Le candidat
à la primaire de droite semble s’aligner sur l’électorat militant des
Républicains, en dépit du bon sens : la radicalisation s’opère en prison,
alors à quoi bon y envoyer M. Chat ou un petit délinquant ? Pourquoi ne
pas repenser des peines plus efficaces ? Si le crime coûte financièrement
beaucoup plus cher à commettre que son coût de revient, la logique voudrait qu’on
tende à un amoindrissement de la petite délinquance, comme le souligne Gaspard
Koenig (peu soupçonnable de gauchisation de la société).
Otage
de l’électorat de gauche, sans lequel Alain Juppé ne remportera jamais la
primaire, ce dernier a cependant cédé à la course aux voix de droite ;
mais ce faisant, son positionnement, trop flou à bien des égards, trop marqu, risque de
mettre en péril sa réussite.
En tout cas,
quel que soit le regard que l’on porte sur ses propos, dans la primaire des
Républicains, le favori à l’investiture peut déjà se targuer d’une victoire
médiatique : avoir réuni 60 000 spectateurs de plus que son principal
rival Nicolas Sarkozy, invité trois semaines plus tôt de l’Emission Politique.
Marine
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire