Xylella fastidiosa – La bête noire des cultivateurs méditerranéens
Oliviers infestés par
la xylella fastidiosa, dans la région des Pouilles
Sur le tarmac chauffé par cette chaude journée d’août, à
bord de l’Airbus A320 à destination d’Ajaccio, le commandant de bord se
présente en corse, puis en français, avant de terminer dans une langue de
Shakespeare approximative. Des consignes de sécurité sont délivrées aux
passagers et l’une d’elles attire tout particulièrement mon attention. C’est
que je ne l’avais jamais entendue auparavant ! Pour lutter contre la
bactérie Xylella fastidiosa, nous étions priés de ne pas importer de plantes
ornementales en terre corse. Mais qu’est-ce que cette Xylella fastidiosa ? En quoi
est-elle dangereuse pour la flore, et particulièrement pour la flore
méditerranéenne ?
Une bactérie venue d’ailleurs…
La Xylella fastidiosa est une bactérie aussi microscopique que redoutable. Originaire
d’Amérique, véhiculée par les insectes suceurs de sève, comme les cicadelles ou
les cigales, elle s’attaque à des végétaux typiques de la flore méditerranéenne :
amandiers, caféiers, arbres fruitiers, citronniers, orangers et oliviers, mais
aussi vignes, laurier rose, romarin, plantes ornementales, polygales à feuilles de myrte, etc. tout y passe !
Xylella fastidiosa
…véhiculée par des
insectes
Comment s’y prend-elle pour détruire toutes ces espèces
végétales ? Localisée dans la gorge des insectes suceurs de sève, elle se
greffe à la plante et forme des bouchons protéiniques dans ses xylèmes (le
système lymphatique de la plante ndlr) où afflue la sève, empêchant le précieux
liquide de l’alimenter. La conséquence ? Privé de sève, le végétal se
dessèche et meurt de soif, et ceci, qu’on l’arrose ou pas. Les producteurs d’agrumes,
d’huiles d’olives, les vignerons, ou bien tout simplement les amoureux de nos
paysages méditerranéens n’ont dès lors plus que leurs yeux pour pleurer.
Les cicadelles sont
des vecteurs de X.fastidiosa
Une expansion rapide
et difficile à maîtriser
La Xylella fastidiosa est loin d’être un problème récent. Bien
connue aux Etats-Unis, et en particulier sur la côte californienne où elle fait
des ravages dans les vignobles, elle a été découverte sur le sol européen en
octobre 2013. Cela fait déjà plus de 3 ans que la région des Pouilles, dans le
sud de l’Italie, voit ses oliviers mourir sans que l’on y puisse rien faire. Eh
oui, on a beau avoir éradiqué la variole et vaincu la peste ou le choléra, X. fastidiosa, elle, résiste !
La catastrophe est tant écologique qu’économique. Rien que
cette année, le ministère italien de l’agriculture évalue les pertes à 225
millions d’euros pour le secteur oléicole. Si la bactérie venait à se répandre
en Europe, les pertes seraient colossales, puisque ce serait les secteurs
viticoles, oléicoles, et la production d’agrumes qui seraient directement
affectés.
Problème : il n’existe pour l’heure aucun remède pour
lutter contre cette bactérie. Car comme l’indique son nom, la bactérie est
fastidieuse, c’est-à-dire que les scientifiques peinent à la cultiver en
laboratoire, ce qui rend d’autant plus difficile son étude et la recherche d’un
remède efficace. Puisque l'on ne peut pas guérir les arbres infectés, il ne reste
qu’une seule solution : empêcher la propagation de la Xylella. Mais cette
solution est loin d’être satisfaisante, en particulier pour les propriétaires
de vergers et les oléiculteurs. Car si l’on peut ralentir la progression de la Xylella fastidiosa à grand renfort de pesticides, insecticides et herbicides, le moyen le plus sûr
d’empêcher sa diffusion reste l’arrachage des plants contaminés et l’abattage
des arbres malades ou soupçonnés de l’être. Des oliviers centenaires, voire
millénaires, qui font aujourd’hui partie intégrante du paysage méditerranéen sont
ainsi tués, soit par la maladie, soit par les autorités, au grand désarroi des
riverains et des propriétaires d’oliveraie. Dans les Pouilles, pas moins de 200 000
ha[1]
ont ainsi été décimés directement ou indirectement par la Xylella.
Répartition de la
bactérie dans le Sud de l’Italie
Source : http://www.nature.com/scientificamerican/journal/v313/n5/full/scientificamerican1115-52.html
Source : http://www.nature.com/scientificamerican/journal/v313/n5/full/scientificamerican1115-52.html
Progression de la
bactérie dans le Sud de l’Italie en un an.
Source : http://www.nature.com/news/gridlock-over-italy-s-olive-tree-deaths-starts-to-ease-1.19939?WT.feed_name=subjects_biological-sciences
Source : http://www.nature.com/news/gridlock-over-italy-s-olive-tree-deaths-starts-to-ease-1.19939?WT.feed_name=subjects_biological-sciences
Ce fléau, dont rien ne peut encore venir à bout, a toutes
les raisons de s’exporter dans d’autres régions d’Europe. C’est pourquoi les
instances européennes redoublent de vigilance. La Commission européenne a
envoyé, le 22 juillet dernier, un avertissement à l’Italie qui lui impose de
mener des actions pour endiguer la diffusion de la Xylella fastidiosa. En mai, la commission et
le gouvernement italien s’étaient accordés sur un plan d’action comportant des
mesures radicales : il prévoyait que soient détruits les plants contaminés.
En réalité, l’éradication des arbres se fait par zone. Si
une zone est infectée, tous les arbres présents dans son périmètre doivent être
abattus, par mesure de sécurité. Mieux vaut prévenir que guérir ! Mais
cela pose un autre problème : s’il y a dans une zone des arbres qui
résistent mieux à la bactérie -et il y en a -, la coupe systématique et le
manque de tests dans ces périmètres d’action, faute de fonds, ne nous
permettent pas de les trouver et de les étudier. En somme, les mesures
préconisées par la commission européenne s’apparentent à une énorme cure d’antibiotiques :
on tue tous les arbres plutôt que de laisser la sélection naturelle faire son œuvre.
De telles actions sont largement contestées par l’opinion, particulièrement
attachée à ses oliviers, mais la Xylella fastidiosa est d’une telle dangerosité pour l’environnement
qu’il est nécessaire, selon la commission, de les appliquer.
Définition d’une zone infectée
Source : http://agriculture.gouv.fr/le-point-sur-les-foyers-de-xylella-fastidiosa-en-france
Source : http://agriculture.gouv.fr/le-point-sur-les-foyers-de-xylella-fastidiosa-en-france
A l’été 2015, les autorités corses notamment anticipaient le
problème en passant au crible la végétation de l’île et en interdisant l’importation
de végétaux en provenance d’Italie. Mais les frontières sont poreuses. Et c’est
à la fin du mois de juillet que la bactérie a été identifié à Propriano sur des
polygales à feuilles de myrte. Les plants ont été aussitôt détruits, mais trop
tard pour empêcher l’expansion de la bactérie sur le sol corse. A l’heure
actuelle, on ne recense pas moins de 275 foyers de la xylella en France, dont
261 rien qu’en Corse[2] !
Une souche différente
Heureusement, la Xylella fastidiosa retrouvée à Propriano sur des polygales à feuilles de myrte est
d’une souche différente de celle qui ravage les oliviers italiens. La
bactérie identifiée en Italie est de type pauca, celle observée en France est de souche multiplex. Concrètement, que cela signifie-t-il ? La
sous-espèce multiplex est moins agressive que la souche pauca de la bactérie. Elle
attaque aussi, dans une moindre mesure, les oliviers, mais délaisse les vignes
et les agrumes.
À la recherche de traitements
Pour autant, le problème est d’une telle ampleur que les
autorités européennes ne peuvent se permettre de négliger les souches moins
dangereuses de X. fastidiosa, et préfèrent s’attaquer à l’espèce dans son ensemble. A Marseille,
les scientifiques cherchent un virus qui pourrait tuer X.fastidiosa. Dans les zones touchées, les chercheurs étudient les
plantes infectées et tentent de trouver des solutions. Pour l’heure, ils se
heurtent à la résistance de la bactérie. Car s’il existe des moyens de
renforcer la plante touchée en vaporisant sur celle-ci des préparations à base
de cuivre, de zinc et d’acide citrique, ou de composés bioactifs, on ne fait
que s’attaquer aux symptômes de la maladie sans faire disparaître pour autant l’agent
pathogène[3].
Pour conclure, on ne peut que louer le sérieux des contrôles
aéroportuaires. En deux ans que la Xylella dévaste la flore des côtes méditerranéennes,
jamais je n’avais entendu de consignes prohibant l'introduction de plantes ornementales en Corse. Lorsque je me rendais en ferry sur l’île
de Beauté, aucune interdiction n’était communiquée aux passagers concernant l’importation
de certaines plantes et le personnel ne procédait à aucune vérification. Sans doute
de tels contrôles étaient-ils jugés comme étant…fastidieux ?
Par C. Delanoy
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