« Peu
importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape la souris, c’est un bon
chat » : c’est au pragmatisme de l’un des pères fondateurs du
développement économique de l’Empire du Milieu, Dèng Xiǎopíng, que les
entreprises occidentales devraient se référer lorsque leurs volontés les poussent
à s’introduire sur le
marché chinois. Via des stratégies protectionnistes reposant sur des
montages juridico-financiers saupoudrés d’une bonne dose de contrôle politique,
la Chine a instauré des barrières visant à soutenir ses propres multinationales
au détriment des géants occidentaux. Cependant, la doxa aurait tort de
considérer la Chine comme un pays fermé ou plutôt renfermé. Au contraire, la
République Populaire de Chine reste ouverte… sous ses conditions.
Rien de mieux pour illustrer ces propos que d’évoquer Facebook qui depuis
2009 souffre d’une interdiction de ses activités en Chine continentale, ce qui
profite largement à son concurrent chinois « WeChat » (ou « Wēixìn)
détenu par l’entreprise Tencent. La suspension de 5années contre le réseau social comptant plus d’un milliard
d’utilisateurs n’a rien d’étonnant. En effet, celui-ci est jugé non-conforme
aux réglementations en vigueur par les autorités car il ne permet pas un
contrôle de la diffusion des informations. Facebook fut officiellement sanctionné
aux côtés de Google et Youtube à la suite des violences ethniques qui ont eu
lieu à Ürümqi, la capitale du Xinjiang au nord-ouest de la Chine, durant l’été
2009 où plus de 150 personnes furent tuées sans compter le millier de blessés. Cependant, on retiendra surtout que
Facebook, au cours de sa période de forte expansion autour de 2010 aurait pu
venir s’accaparer un marché laissé quasiment à l’abandon par les entreprises
chinoises (WeChat ayant vu le jour en 2011 par exemple).
Après 5 ans de purgatoire, Mark Zuckerberg
et ses équipes comptent bien revenir en force sur ce marché de 632 millions
d’internautes. C’est pourquoi Facebook intensifie ses efforts envers le pouvoir
à coup de courbettes et de gestes habiles. Dès mai 2014, le réseau social a
ouvert un bureau en plein cœur du centre des affaires de Pékin dans le but de
montrer sa volonté de coopérer et sa docilité. D’ailleurs, l’activité
développée dans les locaux de la capitale chinoise bien que lucrative, ne se
résume qu’à la vente d’espaces publicitaires à des annonceurs chinois voulant
acquérir plus de visibilité à travers le globe. Plus récemment en octobre, nous
avons pu voir Mark Zuckerberg se prêtant au jeu des questions/réponses, en
mandarin s’il vous plait pendant plus d’une trentaine de minutes lors d’une
conférence donnée à la meilleure université chinoise, celle de Tsinghua où le
jeune directeur possède un siège au Conseil d’Administration. L’idée de séduire
la future élite du pays n’est pas neutre, elle est même plutôt astucieuse sur
le long terme. De plus, ni le directeur de Facebook ni ses équipes n’ont pris
la liberté de se plaindre de la situation de leur réseau social dans le
pays ; au contraire le Vice-Président du développement de Facebook Vaughan
Smith s’est même dit « satisfait » de la situation.
Néanmoins la plus remarquable des
courbettes est signée Mark Zuckerberg lors de la visite dans les locaux californiens
de Facebook de l’un des grands dignitaires du parti communiste chinois, Lǔ Weǐ,
le chien de garde choisi par Xí Jìnpíng pour veiller sur le système de censure
Internet le plus développé au monde. En effet, le président du géant du web
s’est volontiers fait photographier aux côtés de son invité (voir photo) avec
le recueil « La gouvernance de la Chine » posé nonchalamment sur son
bureau : un pavé de 515 pages comprenant l’ensemble des discours,
citations, interventions du président chinois. Les joues enflammées de Lu Wei
ne trompent pas ; Facebook est prêt à faire de nombreuses concessions pour
se faire accepter et passer au travers des barrières érigées par Beijing. Plus
encore, Mark Zuckerberg est allé jusqu’à acheter ce livre à ses collaborateurs
pour qu’ils puissent comprendre « le socialisme aux caractéristiques
chinoises » : un prosélytisme apprécié. Ces courbettes ne font que
justifier et légitimer la censure orchestrée par Xí Jìnpíng. Ce comportement
représente l’acceptation d’un Facebook prêt à se plier aux normes chinoises
tout en clamant être le défenseur de liberté
d’expression en Occident : la schizophrénie affichée par la firme américaine
n’étonne cependant plus après les révélations des liens entre les services
secrets américains et cette dernière.
Cependant, est-ce vraiment
suffisant pour amadouer l’Etat-parti ? En septembre, Lǔ Weǐ a déclaré que
Facebook « ne pourrait pas » gagner l’accès au marché chinois dans un
avenir proche. De plus, ce dernier a renchéri par une attaque subtile et
indirecte lors du « World Economic Forum » à Tianjin : « Si
vous essayez d’effriter les intérêts
de la Chine […] nous ne vous autoriserons pas à exister ! ». Plus
récemment, ce même ministre de la censure, responsable de la supervision de
l’internet en Chine, a affirmé « Je n’ai pas dit que Facebook ne
pourrait pas entrer en Chine mais je n’ai pas dit qu’il pourrait ». Des
paroles ambiguës, peu encourageantes mais qui ont pour mérite de ne pas fermer
la porte à l’entrée de Facebook en Chine. Toutefois, quelques facteurs encourageants comme la fantastique
réussite de Linkedin au sein de l’Empire du Milieu, acceptant ouvertement
la censure et le filtrage sur son réseau, laissent Facebook rêveur.
Néanmoins, même si un jour ses
courbettes bien que chronophages permettaient à Facebook de décrocher le fameux
sésame lui permettant de s’attaquer au marché chinois, le site de Mark
Zuckerberg pourrait-il véritablement rivaliser face à un rival de la taille de
WeChat, si bien installé dans le paysage et fort de ses 400 millions
d’utilisateurs en Chine ? De plus, en cas d’introduction du réseau social
Facebook, le pouvoir chinois pourrait-il malgré des restrictions fortes
vraiment contrôler un univers si permissif et si vaste ? Des
interrogations persistent quant à l’avenir de Facebook en Chine, bien malin sera
celui qui pourra prédire l’avenir de ce duo.
Finalement, un phénomène récent
pourrait bien venir bousculer l’ordre établi. Malgré le blocage du réseau
social, celui-ci reste tout de même accessible via des réseaux privés virtuels
en Chine. L’attrait d’un nombre croissant de jeunes chinois sympathisants à
Facebook permet au réseau d’infiltrer ce marché petit à petit… jouant sur
l’effet boule de neige propre aux réseaux sociaux, on en vient à se demander si
le gouvernement de Xí Jìnpíng serait en mesure d’endiguer une telle tendance.
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