Le
fauteuil est vide. Dehors le soleil semble s'être éteint et les
nuages brouillent le ciel. Les murs sont tristes. Même les oiseaux
ne chantent plus. Et je reste assise seule pendant des heures face à
ce fauteuil vide. Plus personne ne s'y assoit désormais. Peut-être
ont-ils peur qu'il soit hanté ? Je ne sais pas… Moi-même, je
n'y touche pas.
Je
fais des vas-et-viens dans les couloirs de la maison. Je tourne en
rond. Je me lève chercher quelque chose puis j'oublie. Je me
retrouve errant dans une pièce sans plus savoir ce que je suis venue
y faire. Les murs pleurent. Ce sont les photos qu'ils portent qui
leur racontent de trop tristes histoires. Je ne les regarde pas. Je
fais des allers-venues, je ne suis plus bien nulle part. Et toujours,
quand je reviens au salon, ce fauteuil vide qui me fait face.
La
maison est vide. J'ai tout donné, vite, comme on fait avec un
pansement qu'on arrache. Je comble l'espace en brassant de l'air, je
déplace sans cesse le peu qui reste, j'arpente les pièces sans but.
Je ne tiens plus en place. J'ai l'impression d'attendre que le
courant d'air s'immisce en moi pour y étouffer le vide qui m'habite.
Mais rien n'y fait, tout est imprégné. Ça sent toi, où que je
sois. Les draps, les chaises, les murs, je te retrouve même dans les
casseroles que je nettoie. Je les nettoie seulement, car cela fait
des mois que je ne mange pas. On m'inonde de gâteaux et de restes de
gratin, on me gave de plats préparés, de soupes trop sucrées, mais
le frigidaire n'a jamais été si vide et la poubelle si pleine. Je
me contente de rester assise pendant des heures et je contemple ce
qu'il me reste de toi, ce fauteuil qui est toi, où je te revois, où
je t'entends presque me parler de la guerre et des enfants, de nos
belles années, d'autrefois.
Parfois,
je te cherche. Une porte qui grince, un bruit de pas, et je
t'attends. Sauf que tu ne viens pas. Je guette comme un loup aux
aguets, comme si le destin s'était joué de moi et que tu allais
tout à coup réapparaître. Mais ce n'est jamais le cas. On vient me
rendre visite, on met de l'huile sur les gonds, on recolle le parquet
qui se soulève et je ne t'entends plus. Des fois, l'idée me vient
de le racler avec une spatule pour qu'il se soulève encore, de
laisser une fenêtre ouverte, même en plein hiver, dans la seule
attente que le vent fasse claquer la porte comme si c'était toi. Les
enfants se moquent de moi, ils me disent de ne pas y prêter
attention, d'oublier. De toute façon, ils ne parlent jamais de toi.
Mais moi, je ne t'oublie pas. Je pense à toi à chaque inspiration,
à chaque geste. Tu es partout, fondu en moi.
Je
tourne en rond parce qu'il n'y a nulle part où je ne te sens pas. Je
détourne le regard des photos accrochées aux murs mais je ne les
enlève pas car j'ai besoin que tu sois encore là. Pour moi, pour
les enfants, pour les plus jeunes. Pour t'accorder encore un peu de
vie, un délai par procuration. C'est tout ce que je peux désormais
t'offrir, un regard sur ce que nous devenons ici, perdus depuis que
tu n'es plus là. Une vaine tentative pour que tu entendes encore
leur voix. Mais je ne peux plus les affronter, elles ne me rappellent
que trop combien tu étais vrai. Et puis il y a tes yeux, tes grands
yeux sombres qui paraissent me fixer, et cette terrible lueur qui y
brille comme si tu allais t'animer. C'est trop pour moi. Tellement
plus que je ne peux en supporter.
Tu
es un manque constant. Une absence permanente, quasiment devenue
présence. Tout me rappelle toi et pourtant tu n'es plus là. Le
temps est long, les lieux sont vides, l'ennui est grand. Je tourne en
rond et, quand je n'en ai plus la force, je m'installe devant ce
qu'il me reste de toi, devant ce fauteuil qui sent toi, ce fauteuil
sur lequel personne ne s'assoie, sacralisé comme ces tabous qu'on
n'ouvre pas. Je me perds dans ces fibres de tissus encore imprégnées
de ton odeur et de ta voix, mais rien n'y fait, car tu n'es plus là
et j'ai beau attendre, ça ne te ramène pas.
Otis
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