Le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid
(Tunisie), Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant, s’immole par le feu. C’est
l’élément déclencheur de l’ensemble des phénomènes de révoltes dans la région
que l’on nomme non par hasard « Moyen-Orient ». L’angle d’attaque
sensationnel voire fantasmagorique des médias occidentaux face à ces évènements
est potentiellement le catalyseur de nos idées reçues et préjugés sur cette
région. De ce fait, Il parait légitime et opportun de se demander ce que
disent ces évènements de la nature de la relation entre l’Occident et
l’Orient.
Il convient de rappeler que le terme
globalisant Moyen-Orient est utilisé par les occidentaux pour désigner un
théâtre d’opérations stratégiques dans une zone géographique dont la
délimitation par des critères ethniques, religieux et politiques est malaisée.
Cette vision stratégique est entérinée par les accords Sykes-Picot en 1916 : la
France et la Grande-Bretagne qui constituent les deux plus grandes puissances
coloniales de ce temps se partagent les terres du feu empire Ottoman. Les
frontières naissant de cet accord ne correspondront à aucunes réalités
cohérentes en termes sociaux, ethniques, politiques. Ce découpage arbitraire ne
sera pas le meilleur vecteur du bien-être des populations le subissant mais en
termes de défense des intérêts stratégiques occidentaux, il est indubitablement
efficient. L’efficacité de la soumission d’un régime politique étant
inversement proportionnelle au nombre d’individus ayant effectivement le pouvoir,
la promotion factice de la démocratie par la voie médiatique pouvait bien
remplacer la défense de l’intérêt des peuples par un biais diplomatique dans
les instances compétentes en la matière. C’est en cela que l’Occident propose
un double discours : les régimes autoritaires n’ont pas reçu d’admonestation
occidentale concernant leurs dérives liberticides en politique intérieure dans
la mesure où ils ont permis la défense des intérêts géostratégiques qui ont
poussé les occidentaux à pactiser avec eux. C’est indéniable pour l’Arabie
Saoudite (via le pacte de Quincy), pour la Libye et la Tunisie, parce qu’ils
servaient de rempart contre le terrorisme au sud de la méditerranée et ont été
renforcés post 11 septembre, enfin pour l’Egypte en tant qu’elle était un
rempart historique contre l’URSS puis garante de la sécurité du canal de Suez.
La projection de fantasmes liés à cet
« ailleurs en mouvement » a gâté l’analyse scientifique des
évènements. Il est aisé de constater que le facteur économique, essentiel
vecteur de ces révoltes, a été oblitéré par l’immense majorité des médias européens.
Et pour cause, il lui a été substitué un vecteur que l’ethnocentrisme nous
enjoint à prêter aux révoltés : un désir soudain et inespéré de
démocratie, un combat pour le pluralisme politique, le droit des femmes et des
minorités. L’Histoire apprend à ceux qui daignent s’y intéresser que les révolutions
s’inscrivent d’abord dans un contexte de crise économique et non idéologique. La
situation économique d’un grand nombre de pays qui composent la région est
désastreux au moment où éclatent les premières manifestations, notamment le
chômage des jeunes, c’est ce qui justifie en premier lieu le profil
sociologique des « meneurs » des révoltes. Les résultats des
élections démocratiques qui porteront les islamistes au pouvoir en Tunisie (Ennahda)
et en Egypte (Les frères musulmans) L’idéologie vient ensuite en ce que le phénomène d’acculturation touche aussi ces
jeunes, plus sensibles aux marqueurs sociaux que représente une paire de
chaussures floquées d’une virgule qu’aux marqueurs religieux qui les séparent
du monde occidental. En somme, les populations occidentales ont voulu croire
que leur système de valeurs avait été enfin adoubé par des populations ayant
désormais bien du retard sur le fameux printemps des peuples européen de 1848,
dont les idées progressistes furent d’ailleurs anéanties dans l’année même de
leur émergence.
La caractérisation même des évènements
révèle un ethnocentrisme irréfutable. Le terme de « révolution » a
été employé très tôt au détriment de « révolte ». Or, une révolution
suppose une transformation profonde des institutions, de la société voire des
valeurs fondamentales d’une civilisation, ce processus n’étant objectivement
pas de mise. La révolte, quant à elle, implique un mouvement collectif de
rébellion contre une autorité établie, un gouvernement, un ordre social, des
institutions, ce qui est on ne peut plus proche de la réalité. L’essentialisation si hâtive de ces évènements
démontre un besoin profond de l’Occident de projeter un modèle, un système de
valeurs sur cette partie du monde, sans tenir compte de la réalité objective de
« l’autre » qui doit devenir le miroir réconfortant d’une morale
inquisitrice.
Il est en fait question de
l’impérialisme européen relatif à la représentation du monde : la
projection de Mercator datant de 1569 propose une carte du monde qui ne
respecte pas les dimensions des territoires (l’Afrique qui représente un quart
des terres immergées du globe s’y trouve moins étendue que les Etats-Unis, la
taille de l’Amérique du Sud et du Moyen-Orient étant aussi minorées au profit
des grandes puissances de l’Hémisphère Nord). Cette représentation de l’espace
est le premier substrat des conquêtes coloniales et des rapports de force
engagés avec des territoires minorés. La projection de Peters, plus récente et
respectant la dimension des territoires, promue par Willy Brandt dans le cadre
de l’ouverture géopolitique de l’Allemagne à l’Afrique en 1973, n’est pas celle
qui prévaut à la maison blanche, au palais de l’Elysée et au siège de l’ONU
mais aussi dans les écoles. Doit-on pour autant estimer que le rapport de
l’Occident à l’Orient est essentiellement guidé par une vision stratégique ?
Yves Lacoste ne disait pas autre chose en affirmant « La géographie, ça
sert d’abord à faire la guerre ».
Projection de Mercator |
Projection de Peters |
Tant d'aspects intéressants abordés et si peu de mots pour le faire... Cet article en promet sans doute bien d'autres. A suivre !
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